Dans son édition du 28 février 1965, en page 3, l’hebdomadaire catholique, la Semaine Africaine, avait publié l’une des annonces laconiques, parmi les plus sinistres de toute son histoire. Logée dans un encadré noir gras, et libellée dans un style sobre, l’annonce n’était pas sans rappeler des accents lugubres de certains poèmes de l’Américain Edgar Allan Poe.
Le 12 février 1965, le Premier ministre, M. Pascal Lissouba, au cours d’un meeting au rond-point Poto-Poto annonça les couleurs « d’une gymnastique à venir dans les prochains jours qui ne devrait étonner personne étant donné le complot dont le pays était victime ». La machination dont seront victimes Pouabou et les autres se reposait, en effet, sur la découverte d’un prétendu complot ourdi contre le Congo et sa révolution par des acteurs nationaux qui se préparaient à passer à l’action. Entièrement inconnu des Congolais, la presse soviétique et tanzanienne, par contre, auraient eu vent de ce complot. L’ambassadeur du Mali au Congo était alors intervenu pour souffler, via un courrier top-secret, la chose aux incrédules Congolais ! Le complot était apparemment découvert et dénoncé publiquement. Le moyen légal que choisira le gouvernement de l’arrêter, de l’étouffer, et de l’éventrer posera cependant problème et finira au regard des différentes dénégations par retourner complètement la situation contre ce même gouvernement. En effet, l’annonce-avertissement susmentionné, bien que proféré dans les termes mystérieux d’un criminel qui tâte le terrain de son futur exploit, laissait entendre clairement que le gouvernement avait les choses en main, qu’il démasquerait et défèrerait devant les tribunaux les conspirateurs.
Malheureusement, il eut un sanglant coup de théâtre dans la matinée du 16 février 1965 qu’on interpréta comme un épilogue digne d’une intrigue de la Basse-cour des tyrans tels que François Duvalier, Mobutu, Idi Amin Dada, Jean Bedel Bokassa, Sékou Touré et autres. En définitive, l’intrigue de cette affaire était structurée sur un complot fictif, cérébral, physiquement inexistant, mais, qui avait fini par occasionner des représailles contre des personnes physiques de premier rang dans la nomenclature administrative. Organisateur d’un complot contre son élite administrative, le gouvernement avait poussé son inconsistance sadique jusqu’au déni de la citoyenneté de ses victimes en les privant d’une comparution devant la loi. En privilégiant des exécutions extra-judiciaires instrumentées par ses mercenaires, le gouvernement s’était définitivement discrédité aux yeux de la population en se rendant coupable de crimes contre l’humanité.
Le 16 février 1965, une folle rumeur sur les enlèvements, assassinats et disparition de la nuit avait précédé le lever du jour. Cette rumeur avait couru les rues, noué les gorges et vidé les boyaux. Brazzaville, tout entière était prise de panique, terrorisée par l’arbitraire devant lequel, citoyen lambda et personnalité publique de premier rang ne pouvaient désormais plus résister. Les forces politiques qui avaient commandité les meurtres se rejetèrent lâchement cette abomination les uns sur les autres. C’était le signe évident que le fameux complot dénoncé par M. Lissouba n’était qu’un truc cousu du fil blanc. A la Conférence nationale de 1991, M. Michel Mbindi qui voulait soulager sa conscience indexa, à la tribune, M. André Hombessa, lequel aurait menacé de liquider toute personne qui enquêterait sur cette affaire. Un jour, le président Alphonse Massamba-Débat s’intéressa à l’emploi du temps de M. Lissouba au cours de cette nuit. Il lui posa la question suivante : « que faisiez-vous, dehors, à une heure du matin ? » Celui-ci répondit : « je veillai ! » Massamba-Débat poursuivit : « vous veillasse toute la nuit pendant qu’on enlevait trois hauts fonctionnaires ! » Apparemment, le président Massamba-Débat voulait aussi se dédouaner. Il reconnaîtra à plusieurs reprises que « ses assassinats pesaient sur sa conscience ». Il n’était plus en vie, en 1991, quand le colonel Jean Michel Ebaka, maître-policier de son état l’accabla lors de sa déposition à la Conférence nationale souveraine. « Le président Massamba-Débat était au courant de tout », allégua le maître-policier.
M. Ndalla Graille nous confiera, un jour, sans détour que « ces crimes portaient la signature de l’Etat ». Selon Me Jacques Okoko, accusateur public lors du procès de l’assassinat du président Marien Ngouabi, le supplice de MM. Matsocota, Pouabou et Massouémè fut le plus emblématique et le plus spectaculaire de tous, sur un total de 52 cadres qui perdirent la vie de 1964 à 1968 pendant la Terreur sans compter d’innombrables anonymes victimes de la toute-puissance barbarie des mercenaires de la JMNR-Défense civile.
Pourquoi diable, les dirigeants du Mouvement national de la révolution (MNR) recoururent-ils systématiquement à la terreur contre leurs concitoyens dans un processus de changement révolutionnaire enclenché de façon pacifique par la population ? Ce questionnement appelle une réponse qui se construit sur deux échelons, l’un global et l’autre national.