Interview : Tata N’longi Biatitudes « L’écriture est une vocation…Beaucoup d’appelés peu d’élus »

Mercredi, Décembre 16, 2020 - 19:00

De son vrai nom Hervé Michel Bia Buetusiwa, avocat de son état, connu sous son célèbre sobriquet de Tata N’longi Biatitudes, l’homme est tout aussi multi option que multi facette. Camouflé dans son sobriquet, on ne saura faire le lien entre sa profession d’avocat, qu’il exerce avec passion, et son amour pour l’écriture, qui illumine son visage dès qu’il se met à en parler. Dans une interview accordée à Le Courrier de Kinshasa, il retrace son parcours. L’homme vise loin, et veut agir aujourd’hui afin d’impacter demain. « Il est possible de changer cet état des choses » a, t-il affirmé. Pas des choix à faire entre le droit et la littérature. Mais il souhaite quand même passer le dernier moment de sa vie à écrire. Comprenne qui pourra.

Le Courrier de Kinshasa : Bonjour Hervé Michel Bia. Vous êtes écrivains. Dites-nous, est-ce par passion, par mimétisme ou par ambition ?

Hervé Michel Bia : Moi, je suis écrivain parce que j’écris. J’écris depuis plusieurs années. Je le fais depuis mon enfance. J’ai participé à plusieurs concours puis j’ai arrêté. Je suis allé faire les études de droit, je n’avais pas autour de moi des gens avec lesquelles nous avions une passion commune. Ce qui faisait de cela une passion solitaire. Donc, je me suis concentré sur mes études à cause de l’absence des gens qui porterait avec moi cette passion. Et lorsque j’ai croisé des personnes qui partageaient ma passion, je me suis décidé à publier.

LCK : Justement, d’où vous est venue cette envie d’écrire ?

HMB : Ce n’est pas une envie en fait ! Etre écrivain, c’est une vocation, c’est une passion, on va dire.

LCK : Aviez-vous déjà, à l’époque, un modèle ?

HMB : A l’époque, le modèle était essentiellement étranger. Quand j’étais tout jeune, c’était essentiellement étranger parce que les écrivains congolais, on ne les connaissait que très peu. Et de manière générale, il n’y avait pas d’endroit connu où l’on pouvait trouver leurs ouvrages en entier, à part des extraits dans des anthologies. Et puis, pour la plupart, on pensait qu’ils étaient morts alors qu’ils vivaient encore. Donc, c’était difficile d’avoir des modèles au niveau du pays.

LCK : Qu’est-ce qui vous a poussé à embrasser à nouveau ce métier d’écrivain, après votre sortie de la fac ?

HMB : Comme je disais, c’est le fait d’avoir croisé des gens qui partageaient la même passion, la passion de l’écriture. C’est ce qui m’a encouragé à publier parce que, je n’avais jamais arrêté d’écrire. C’était publier que j’ai momentanément arrêté. Mais aussi les réseaux sociaux m’ont fait découvrir qu’il y avait un public congolais qui avait le gout de la lecture.

LCK : Quelle est votre lecture de cette carrière d’écrivains en RDC, vue la situation économique ?

HMB : Déjà que la carrière d’écrivain est une carrière artistique et la carrière artistique est très difficile partout dans le monde et pas qu’en RDC. Parce que sur milles jeunes qui chantent dans le quartier, il y en a qu’un seul ou deux qui vont s’en sortir avec ce métier. C’est la même chose pour le foot ; il y a beaucoup de garçons talentueux mais tous ne brillent pas pour autant. Et l’écriture, c’est la même chose : il y a une forme de sélection qui se fait là. Partout dans le monde, il y a des gens qui publient mais très peu parviennent à en faire un métier à part entière qui permet de le nourrir. C’est une extrême minorité.

LCK : Qu’est qui justifie cela. Est-ce une règle non écrite ?

HMB : Ce qui explique cela, comme je l’ai dit, c’est une discipline artistique. Donc, il faut toucher un grand nombre de gens pour pouvoir en faire une activité rémunératrice. Or la tension, le circuit de distribution sont faites de manière à ce qu’il y ait un nombre réduit de gens qui arrivent au sommet. Ça, c’est dans le monde entier. Même dans la musique, c’est comme ça. Comme je l’ai dit, il y a beaucoup d’appelés mais peu d’élus de manière générale. Donc même ailleurs, il y a très peu d’écrivain qui vivent de leurs ouvrages et ça, on ne le saura jamais suffisamment. Même ceux qui sont les plus connus, ils vivent des activités annexes à l’écriture, par exemple, ils organisent des ateliers, des conférences, etc.

LCK : N’est-ce pas ça déjà vivre de son œuvre ?

HMB : C’est comme ça que je dis indirectement. Donc, ils ne vivent pas de leur droit d’auteur, ils vivent d’une économie du livre qui est installée. Ici, le problème est encore plus accentué parce que l’économie du livre n’existe pas. Le circuit du livre qui part de l’édition à la librairie en passant par la promotion et du livre et de l’écrivain n’existe pas. Donc, c’est difficile pour un écrivain de ne vivre que de son œuvre et pour un écrivain congolais, c’est presque impossible. Quiconque vit au Congo serait d’accord. Donc, c’est une carrière difficile. Ca ressemble grandement à l’apostolat.

LCK : Est-ce possible de changer cet état des choses ou faut-il carrément s’avouer vaincu ?

HMB : Il y a moyen de le changer et c’est ce que nous sommes en train de faire dans le cadre des activités associatives dans lesquelles nous sommes impliqués. Et, c’est ce que les autres acteurs culturels font aussi en soutenant justement la promotion de l’écriture. Mais la première étape consiste à ce que le public congolais puisse adhérer à la lecture. Cela va permettre la vente des livres ; ce qui va à son tour générer de l’argent. Mais le public congolais a beau être concerné par la lecture mais si le circuit de production et de distribution ne fonctionne pas, ça sera compliqué. Avec d’autres amis, nous nous sommes lancés dans l’aventure de l’édition. C’est pour nous permettre d’agir au niveau de la production, de la distribution et de la promotion des livres et c’est ce que la jeune association Les écrivains du Congo Asbl essaie de faire. Les écrivains doivent être connus, aimer et respecter ainsi que leurs œuvres

LCK : De votre vrai nom Hervé Michel Bia Buetusiwa pourquoi avoir ajoutez ce sobriquet de Tata N’Longi Biatitudes ?

HMB : Apres mes études de droit à la fac, j’avais été retenu comme assistant et mon entourage avait choisi de m’appeler Tata N’longi comme pour désigner un enseignant puisque c’est ce que cela veut dire. Mais après, Biatitudes, c’est une déclinaison de mon nom : c’est un jeu des mots avec béatitudes

LCK : S’il vous étiez donné de prodiguer conseil à un jeune, lui diriez-vous de faire de l’écriture une carrière ?

HMB : Je lui dirai s’il le veut, il peut. Qu’il faut beaucoup de passions mais après, comme dans tout plan dans la vie, et surtout pour ces genres des métiers, il faudrait une deuxième option, un autre travail à la fois pour obtenir le succès entre guillemet mais aussi pour soutenir sa passion et gagner sa vie puisqu’on est plus à l’aise pour écrire que lorsqu’on a du pain à manger.

LCK : Outre vos ouvrages vous êtes aussi concepteur du célèbre concert des mots. D’où vous est venue cette idée ?

HMB : En tant qu’écrivain, j’ai envie de vendre mes textes, j’ai envie qu’on me lise. Mais surtout d’introduire les gens dans mon univers. Et comme à Kinshasa les livres ne circulent pas et que nous sommes dans une ville empreinte de la musique, j’ai opté pour cette façon de faire. J’ai voulu être original et surtout que j’aime bien faire passer mes textes par la musique. Mais après, il faut dire que nous n’avons pas inventé le concept.

LCK : Et si vous aviez à choisir entre l’écriture et le droit ?

HMB : A ce stade de ma vie, je choisirais les deux. Mais, après un certain moment, j’aimerais avoir plus de temps pour écrire. Tout comme la littérature, le droit aussi est une passion pour moi.

LCK : Combien d’ouvrages à votre actif ?

HMB : Trois notamment Mes j’aime, Cœur épelé, et Bateki Mboka.

LCK : Un ouvrage en vue ?

HMB : Il y a beaucoup des projets en vue du théâtre, de la poésie, du roman. Nous y travaillons

LCK : Un mot de la fin ?

HMB : Merci à vous pour l’intérêt manifesté pour la culture. Si d’autres médias pouvaient vous emboiter les pas, ce sera une très bonne chose en consacrant les deux premiers pages à la culture. Ici, je parle pour ce qui est de la presse écrite.

Christopher Khonde
Légendes et crédits photo : 
Photo: Hervé Michel Bia Buetusiwa.
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