Paul Kamba fut un enfant de l’immigration. Créateur culturel dans une agglomération qui n’était encore que balbutiement, il contribuera par la musique à donner une âme et une identité à sa nouvelle patrie, Brazzaville, et à sa sœur jumelle assise sur l’autre rive du pool Malebo, la ville de Léopoldville.
Sur le plan génétique, Paul Kamba avait hérité de ses parents maternels un don naturel de l’animation musicale qu’on retrouvera avec le même bonheur chez deux de ses cousins maternels. Sa mère avait deux sœurs. L’une d’elle se maria à Ossa’a (Ossa’a et Akongo) actuellement à 10 km de la ville d’Ollombo sur la route d’Abala. L’autre se maria au pays bangangoulou. Celle d’Ossa’a enfanta Ngakosso ‘’Alanga dzembo’’. Celle du pays bangangoulou mit au monde Douniama Dzimpa. En 1945, alors qu’il séjournait à Kwamouth au Congo belge, Ngakosso mérita de sa compagne centrafricaine le surnom « Alanga dzembo » (fou de la chanson, littéralement soûl de la chanson) parce que son compagnon consacrait des journées entières à sa passion pour le chant. A Léopoldville, où il était leader des groupes d’animation au quartier Ngiri-Ngiri, on l’appelait ‘’Alanga dzembo’’ comme s’il s’agissait d’un prénom et d’un patronyme. Quand il revint à Brazzaville, son patronyme Ngakosso avait disparu pour laisser place à son surnom Alanga. Son cousin Po’olo l’aida à enregistrer dans les studios de Léopoldville puis, il retourna au pays mbochi, devint lead chant d’un foklore qu’il fonda et fut vénéré jusqu’à sa mort. Il était unanimement appelé Alanga.
L’autre cousin, Douniama Dzimpa bouleversa la donne de la chanson folklorique du pays bangangoulou. Il fut, et, est resté, sans contexte, le plus grand griot du folklore « Ognegne ». En pays mbochi, Douniama avait un alter ego du nom d’Opéra, l’oncle maternel de Mgr Benoît Gassongo. Opéra chantait le folklore « Olée ». Les meetings du duo Opéra et Douniama affolaient les mélomanes mbochis et bangangoulous. Chose curieuse, comme dans le cas de Douniama et ses cousins, Opéra était tributaire de son ascendance maternelle pour son extraordinaire don de chanteur. Comme dans le cas d’Alanga, Po’olo amena son cousin Douniama dans les studios de Léopoldville.
Dans les années 20, 30, et 40, Brazzaville en était encore à ses balbutiements. Sa vue panoramique était réduite à une touffe de maisons enfouies sous des arbres longeant le fleuve Congo. Le voyageur venu du côté nord de la ville embrassait une vaste plaine essaimée de cases arrondies des villages tékés avant de se fondre dans un village conquis sur des marécages qu’on appellera Poto-Poto, c’est-à-dire la boue en lingala. Assis à la lisière de Brazzaville, le village des Blancs, Poto-Poto était le prolongement de ce qui fut jadis M’Faa, le village téké qui accueillit les premiers colons. De l’autre côté du village des Blancs, le voyageur venu du Bas-Congo se résignait dans le village Mbama dont le nom disparaitra au profit de l’indication géographique de l’origine de ses habitants pour se muer en Bacongo. A cette époque, la secousse coloniale n’avait pas encore réussi à braquer les populations de la colonie sur Brazzaville. Les miliciens, les gens de corvée asservis par le portage, les commerçants tékés, kongo, balalis, bangalas et, parfois des aventuriers, voyeurs furtifs, composaient l’essentiel de la population de cette ville naissante.
Ces populations détachées de leur habitat naturel par le fait colonial étaient, à l’image des Juifs sur les rives de Babylone, en pays étranger. Le chant qui s’élevait, le soir, de leurs bouches cloisonnait chaque communauté dans le souvenir de sa contrée d’origine. Alors qu’une nouvelle fraternité brisait les remparts de la tour de Babel avec la promotion de la langue lingala issue d’un brassage des parlers communautaires, l’expression artistique de cette nouvelle humanité restait prisonnière des folklores régionaux, sans qu’aucun d’eux ne s’imposa aux autres. Ce cloisonnement des expressions folkloriques était une borne à l’épanouissement d’une expression artistique unique conforme à la fraternité que la ville promouvait. C’est au génie d’un « fou de la chanson », un alanga dzembo, Po’olo Kamba, qu’on doit la levée de cette équivoque. (A suivre)