3- Le prince nga’Atsèssè
Le retour du père de Mwana Okwèmet dans son village fit grand bruit. Les nouvelles de Pombo l’avaient quasiment devancées, colportées de bouche à oreille. A Bèlet comme dans les villages traversés sur le chemin de retour, les annonces de Guyonnet avaient provoqué une fermentation des esprits.
D’abord incrédules puis consternés, les villageois en avaient fait un sujet de débat populaire. Ils ne comprenaient pas. L’institution d’une autorité territoriale regroupant plusieurs villages à laquelle on obéirait, le cas échéant par la force et l’annonce de la levée d’un impôt par tête d’habitant décidées par un étranger avaient provoqué une vive émotion au sein de la population.
Partout dans les villages, sur les aires des jeux, dans les marchés forains, sur les pistes et chemins entre villages, pendant les cérémonies de mariages et, celles liées à l’intronisation des notables, on débattait les annonces insensées des ebamis Fwalaçais. Les docteurs de la loi de la société Otwèrè s’en mêlèrent, tinrent des longues délibérations et conclurent sur l’irrecevabilité du diktat des étrangers. De village en village, il n’y avait pas un seul habitant qui ne sut expliquer et démontrer avec des grands gestes l’inanité des propositions françaises.
Un homme suivait attentivement le débat provoqué par les nouvelles venues des bords de l’Alima. C’était le prince nga’Atsèssè du village Olèmey. Né dans une famille des notables de l’aire culturelle Assoni, nga’Atsèssè était un prétendant à la royauté sur le trône des Tsahana de Boua. Plusieurs villages de l’actuel district d’Ongogni étaient sous la tutelle de l’autorité spirituelle des Tsahana de Boua. Au moment de l’arrivée du lieutenant François Guyonnet à Pombo, en 1908, nga’Atsèssè n’était plus un inconnu dans le dispositif de la chefferie de l’aire culturelle Assoni. Il régnait à Olemey m’Okondzo et s’était surnommé Kia-Kia (le protecteur) après deux faits d’armes qui avaient fait forte impression sur ses sujets. Il avait ordonné au soleil de revenir quand celui-ci avait disparu en plein jour. Il avait aussi ordonné aux criquets de cesser de ravager les champs et de déguerpir. Les préparatifs de son intronisation en qualité de Tsahana le Quatrième suivait leur cours régulier quand lui parvinrent les annonces de Guyonnet.
Nga’Atsèssè perçut rapidement la menace que présentait l’intrusion des Français dans les affaires locales mbochies. La territorialisation et la nomination des chefs par des étrangers dont personne ne savait d’où ils venaient et pourquoi ils étaient venus portaient une atteinte directe à ses prérogatives. Animé de la même énergie avec laquelle il avait ordonné au soleil et aux criquets de lui obéir, le prince nga’Atsèssè prit la tête du refus de la soumission à l’étranger et devint l’idéologue et l’âme de ce mouvement.
Obambé Mboundjet, le père de Mwana Okwèmet, trouva en nga’Atsèssè un allié efficace. Celui-ci ne manquait aucune occasion pour tonner contre l’intrusion étrangère. Il fit de la cérémonie d’intronisation du notable Nguidzemi à Endolo une tribune à la cause du refus. « Jamais, jamais, nous n’accepterons de payer un impôt à des étrangers. Nos ancêtres ont vécu sans eux. Jusqu’ici, nous avons vécu sans eux, nous n’avons pas besoin d’eux. Qu’ils retournent d’où ils sont venus. Jamais, jamais, nous n’accepterons leur diktat. »
Comme le prince avait une voix étouffée, Mbola Okogno’o, un géant à la voix de stentor amplifia ses exhortations. C’est à Endolo que nga’Atsèssè décréta un embargo total sur tous les mouvements humains et commerciaux en direction de Pombo pour punir ces Français prétentieux qui avaient projeté de soumettre son peuple. (A suivre)