Mwana Okwèmet, le fétiche et le destin (15)

15. Eygnami le réfuge d'E’Gendé

A leur arrivée au village, Eygnami avait abandonné sa coutumière indolence. La fête d’Embonga au quartier Emboli s’annonçait belle. Par petits groupes chantonnant à travers tout le village, les adhérents de ce folklore parés d’élégantes coiffures ornées de plumes colorées donnaient déjà le ton.

Le hasard de l’arrivée d’Ibara E’Gendé et sa bande armée changea sensiblement l’orientation de la soirée. L’évènement festif consacré à la rencontre d’élégants gentilshommes répertoriés en générations d’alter ego se transforma quasiment en meeting de protestation contre l’assassinat d’Obambé Mboundjè. Tout se passa comme si, à défaut de Bèlet envahi et dispersé, les sociétaires d’Embonga avaient expressément choisi de se retrouver dans une cachette et, en guise de protestation contre ce meurtre et de solidarité avec Ibara E’Guéndé, dédiaient cette rencontre à la mémoire de son père.

Au cours de cette soirée, l’absence du ténor Olomi a’Ngongo profita à trois figures juvéniles qui deviendront des légendes de ce folklore. En effet, Koua Ipouèffè, Aggia’nga et Nganongo Mahoulou révélés au cours de cette nuit connaîtront la gloire à Ossendè, griots à la cour du chef Kanga Djo’o et ses successeurs, ses fils Okandzé Ottely et Kanga Onanga. Ils accompagnaient leurs chants par un piano à lamelle appelé E’Kyémbé ou encore E’Sandja. A l’apogée de son art, Koua Ipouèffè immortalisa l’amour du prince Okandzé Ottely pour sa bien-aimée Okombi a’Po’o. Ce chant deviendra l’hymne du folklore Embonga et survivra longtemps après la mort de son auteur.

La tournure mémorielle de la soirée avait imposé à tous les proches d’Obambé Mboundjè de passer la nuit au siège de l’évènement. Sur ce territoire où le détenteur de l’autorité sociale était reconnu, d’abord et avant tout comme un roi-danseur, la coutume imposait de saluer la mémoire des défunts par la danse.  C’est ainsi qu’on vit Ibara E’Guéndé, Lembo’o la’Mbongo, Oley, Mwakoumba, ses parents et tous les réfugiés de Bèlet s’adonner à de frénétiques gestuelles corporelles.

Le jour suivant, en dépit des lourdeurs d’une nuit sans sommeil, très tôt, Lembo’o, sa cadette Issongo Etumba, son cousin Kassambé et Mwana Okwèmet prirent congé d’E’Guendé, Oley et Mwakoumba. Ils arpentèrent la route qui mène à Eytala’a en pays bangangoulou où ce nom devient Etoro. Kassambé décliné en Ka’ambi en langue bangangoulou était le fils de la sœur de Mwelah, la mère de Lembo’o la’Mbongo. La branche de Mwélah n’ayant enfanté que des femelles, c’est sur Kassambé, le cousin utérin que reposait l’espoir de Mwélah en cas de coup dur dans le foyer de ses deux filles Kassambé ne déçut pas cet espoir. Il accourut à Bèlet quand il apprit le malheur qui avait frappé la famille de Lembo’o. Il participa activement à la recherche de sa nièce Mwana Okwèmet. A présent, il emmenait Lembo’o, et sa fille se reposer des émotions consécutives à l’invasion de Bèlet, chez lui à Etoro, son village où il avait femmes et enfants.

Peu après leur départ, on s’était réuni chez les Mwakoumba à l’initiative de son oncle paternel, Akouala Mbossa, juge à la cour du prince Ngambomi à Mbey. Les représailles que ce juge avait brandi à la face d’Etou, le roi Bouc, furent la raison essentielle de l’inactivité esclavagiste du geôlier d’Apila. A la faveur de la fête Embonga, il était revenu à Eygnami régler la question du remboursement de la dot d’Etou et libérer Apila. Le hasard le fit rencontrer Ngadoua Oley, le mari de sa nièce Mwakoumba déjà mobiliser pour la même cause. Dans l’après-midi, Akouala conduisit une délégation à Ekoli auprès d’Etou. Quand Apila recouvrit sa liberté, tout le monde s’accorda de ne plus la voir se marier avant de l’avoir purgé de ses extravagances sexuelles. Quelques années passeront, quand le calme fut revenu, on l’amena à Essami, un temple de la désintoxication où Apila fut présentée à Ongoli, petit-fils d’Obambé Mboundjè qui avait hérité de son ancêtre le divin secret d’un médicament destiné à désenvoûter les drogués, les nymphomanes et toutes sortes de tares obsessionnelles.

 

Ibara E’Guendé, son cousin Ngadoua Oley, leurs femmes et enfants passèrent toute l’année 1912 à Eygnami à l’affût des nouvelles de Bèlet et des bruits de bottes de l’envahisseur. E’Guéndé, comme tous les fugitifs de Bèlet, caressait et partageait l’espoir de voir l’envahisseur se retirer et disparaître du pays comme il était venu. Ce fut une vaine attente. Les jours, les semaines et les mois ne passaient plus sans qu’on apprit de nouveaux exploits de l’envahisseur de plus en plus rassuré de posséder un droit d’agir que personne ne lui disputait. Quand plus tard, la mort dans l’âme, E’Géndé reprit ses quartiers à Bèlet, Eygnami se rappellera plusieurs fois à son souvenir comme refuge. Sa famille, il s'en rendra compte, n'avait pas fini de souffrir le martyre des affres de l'invasion du pays m'bochi. (A suivre)

Ikkia Onday Akiera
Vendredi, Mai 28, 2021 - 13:36
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