Orateur à la première conférence sur le tourisme mémoriel organisé en RDC, l’historien français d’origine Bénino-martiniquaise a estimé qu’il était important de travailler de sorte à « ramener au Congo ce que le Congo a donné au monde ». Dans cet entretien avec Le Courrier de Kinshasa, il revient sur l’essentiel de sa contribution à ces assises internationales tenues les 21 et 22 mai à Kinshasa.
Le Courrier de Kinshasa (L.C.K.) : Il semble que ce n’est pas votre première à Kinshasa, peut-on connaître la raison de cette nouvelle venue en RDC ?
Amzat Boukari (A.B.) : Je suis à Kinshasa pour cette quatrième fois à l’invitation de la Fondation Eric-Impion qui m’a contacté il y a plusieurs mois pour son projet de tourisme mémoriel et sa conférence sur la Traite négrière en lien avec la question du patrimoine. Nous avons échangé durant plusieurs mois pour préparer cette conférence internationale. Vu l’importance du sujet, il me semblait tout à fait normal d’y être présent pour apporter ma contribution et permettre de développer des connexions avec ceux qui travaillent sur place et les personnalités venues de l’extérieur pour témoigner, notamment les Afro-Américains. Ils comptent beaucoup sur nous qui travaillons à partir d’ici.
L.C.K. : En quoi a consisté votre contribution à ces assises ?
A.B. : Ma contribution consistait en deux points. Dans mon intervention du premier jour, j’ai dressé une ligne générale de cette question. Le second jour, selon la demande qui m’avait été faite, j’ai montré ce qui existe dans le monde en lien avec la valorisation du patrimoine dans un cadre touristique et économique. L’accent a été mis surtout sur l’idée de développement à travers le tourisme mémoriel. Dans mes deux présentations, j’ai résumé ces deux approches. Nous allons travailler pour produire un rapport final à remettre aux autorités compétentes afin qu’elles soient mieux informées et se saisir des débats qui ont été engagés ces deux jours pour proposer le meilleur pour le Congo parce que je pense qu’il faut le meilleur pour le Congo.
L.C.K. : La RDC est souvent aux abonnés absents dans les conférences internationales qui abordent les questions de la Traite négrière. Que faire pour changer la donne ?
A.B. : Plusieurs représentants l’ont évoqué à l’instar du ministre du Tourisme : c’est à nous d’écrire notre histoire, c’est à nous de rétablir la vérité. Et tant que ce travail n’est pas fait, c’est difficile de parler de patrimoine parce que le patrimoine et la mémoire sont le résultat de l’histoire. Tant que nous ne reprenons pas l’écriture de notre histoire, qu’elle soit écrite ou orale, l’on sera toujours absents des grands débats et d’autres écriront notre histoire à notre place. C’est la dynamique que nous voulons inverser aujourd’hui. Nous ne sommes pas les premiers mais nous tenons à apporter notre contribution pour ramener au Congo ce que le Congo a donné au monde. C’est pour cela que l’on a fait venir des Afro-Américains pour témoigner parce que le témoignage est aussi une façon de contribuer à l’histoire et de redonner au Congo ce qui lui a été pris de manière injuste. Il y a aussi un autre élément qui est peut-être une question de priorité, à savoir que ce sont des recherches qui nécessitent de gros moyens. Le patrimoine, c’est un investissement. Nous voulons pousser les autorités compétentes à comprendre qu’investir dans ce domaine, c’est s’assurer d’un retour sur investissement qui sera sans doute encore plus important. C’est à cet effet que l’on a évoqué le cas de Gorée, l’Egypte, etc., pour montrer que ce n’est pas investissement en vain mais qu’il va rapporter énormément s’il est bien fait.
L.C.K. : Devrait-on parler vraiment de tourisme mémoriel ou de quête identitaire pour les Afro-Américains venus à Kinshasa ?
A.B. : Je pense que c’est là une question importante. Quand on arrive au Congo, il faut remplir une fiche où l’on demande le motif de sa venue, mais je ne vois jamais de motif mémoriel. Je crois qu’il devrait figurer sur les documents lorsqu’on voyage en Afrique. Plusieurs viennent pour ce motif-là, mais comme ce n’est pas inscrit dans les cases, on ne le sait pas. Pourtant, ils ne viennent pas pour une visite familiale ou du tourisme, encore moins pour du business mais plutôt pour une raison mémorielle. Cela devra être pris en compte au niveau des administrations parce que cela devrait permettre de savoir qui viennent et pourquoi viennent-ils. Par ailleurs, la dimension du tourisme fait souvent penser au loisir, à l’amusement, des choses un peu légères. Mais nous parlons d’un sujet qui est extrêmement lourd, très grave, sur lequel nous devons mettre un cadre éthique. C’est à cet effet que nous remercions les autorités coutumières pour leur présence parce que ce sont elles qui doivent être garantes du cadre éthique du point de vue de ce tourisme de retour, plutôt qu’un tourisme mémoriel ou économique, mais qui génère quand même une économie et permet le développement, de valoriser le patrimoine du Congo, de l’Afrique centrale et de l’Afrique en général.
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