Evocation : on roule en mbeba, on dort en yoga (suite et fin)

Dans la capitale, en lingala et, bien avant la guerre du 5 juin 1997, le mot mbeba avait pour synonyme ‘’likama’’ qu’on traduit par le malheur, la catastrophe. Réinterprété sous ce nouvel éclairage, le concept "mbebisme" décrierait un complexe d’actions et d’idées catastrophiques qui caractériseraient le gouvernement issu de la guerre et le "mbebiste", un nuisible, un malfaiteur.

Tout ceci avait conduit à supposer sans trop forcer que les rédacteurs de la « Rue Meurt » plaçaient le gouvernement post-guerre pour lequel le mot fut forgé sous le signe de la catastrophe, d’un malheur national.

Au demeurant, l’expression « On roule en mbeba » n’était que la première composante d’une phrase dont l’intelligibilité est rendue par sa condition suffisante à travers le « On dort en yoga ». A l’origine donc, l’expression usitée pendant la guerre par les Cobras est « On roule en mbeba, on dort en yoga ».

Le yoga est un exercice physique et spirituel hindou au terme duquel le moi, l’ego, par des techniques appropriées, se détache de son enveloppe existentielle pour parvenir à la contemplation absolue, à la béatitude.

Vraisemblablement, on serait tenté d’interpréter le « On dort en yoga » par « On dort profondément, on dort jusqu’à l’oubli, on dort comme un loir ». Dans ces conditions, ‘’On roule en mbeba, on dort en yoga’’ s’entendait comme "On roule à toute allure, en catastrophe, on dort jusqu’à l’oubli de soi’’, ou encore ‘’On roule casse-cou, on crève sans soucis’’. A l’évidence, il y avait dans cette combinaison un sens tragique de la vie dictée par la guerre. Rouler en catastrophe, à tombeau ouvert, et, dormir profondément décrit une condition de vie désespérée et sa conséquence dramatique : la mort. A partir de ce moment, l’expression ‘’On roule en mbeba, on dort en yoga’’ se replace dans le contexte historique qui l’avait créé, à savoir la précarité de la vie des combattants Cobras pendant la guerre. Ces derniers, confrontés à la mort quotidienne, avaient ‘’philosophé’’ à leur façon pour traduire la vie à risques et périls qui était la leur : lorsque le malheur surgissait sous forme de décès, il fallait l’assumer dans une totale insouciance comme dans un exercice de yoga. Cette précarité, la vie et la mort, les deux faces de Janus, les combattants Cobras l’assumaient dans une totale insouciance d’où leur célèbre expression ‘’On roule en mbeba, on dort en yoga’’.

Comme on le voit, il n’y avait pas à l’origine de cette expression la moindre trace de mouvement des éternels ‘’On part, on part’’, les chauffards et les nervis de tous bords, roulant à tombeau ouvert et qui avaient traumatisé la population à la fin de la guerre du 5 juin 1997. Le "mbeba", nous l’avons montré, décrivait les conditions dramatiques de la vie pendant la guerre et, le "yoga" sa conséquence tragique. On roule en mbeba, on dort en yoga, on roule à tombeau ouvert, on meurt sans-soucis. Au moment où le grand musicien Papa Wemba reprenait cette expression dans l’une de ses chansons, la guerre n’était plus qu’un mauvais souvenir dans les rues de Brazzaville. Toutefois, "rouler en mbeba, dormir en yoga", expression plutôt géniale qui résumait cette période trouble de la vie à Brazzaville, continuait toujours de résonner comme un avertissement venu d’outre-tombe.

Ikkia Ondai Akiera
Vendredi, Janvier 28, 2022 - 12:45
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