Evocation : le revenant de Ngatali

Une semaine s’était à peine écoulée depuis le retour du village de l’adjudant Dany Gwabira lorsque des nouvelles alarmantes le pressèrent d’introduire une nouvelle demande d’absence auprès de son chef de bataillon. Par bonheur, ce dernier, un cousin paternel, était concerné au même titre que lui par les folles rumeurs rapportées par les voyageurs en provenance de Ngatali, son village dans la sous-préfecture de P. Le chef de bataillon, le colonel Sondzon Paul Marie, ne manifesta pas seulement sa compréhension à cette nouvelle requête, il recommanda vivement son jeune cousin de sauter dans la première occasion en direction de la sous-préfecture de P. Il était indigné par la rumeur selon laquelle le fantôme de Gwabira Edjongo, son oncle qu’il venait d’enterrer une semaine auparavant, hantait Ngatali et terrorisait ses habitants. Comme un nuage noir qui précède la tempête, cette rumeur enflait de jour en jour, et menaçait l’honneur de la famille. Il fallait immédiatement y mettre fin. Il poursuivit :

  • Ah, ces sottises, ces croyances insensées venues du fond des âges que des malveillants entretiennent dans nos villages à des fins de nuisance. Faudra bien qu’on s’y attèle sérieusement. Cependant, comment lutter contre la crédulité de ceux qui croient aux sornettes ?

L’adjudant accueillit avec une certaine hauteur l’interrogation du colonel Sondzon.

  • Mon colonel, je ne saurai répondre à cette vaste interrogation. Il se pourrait que les sociologues, les anthropologues et les historiens de l’université vous seront d’un secours pour sonder la finalité qui agite les malveillants dont vous parlez. En ce qui me concerne, mon colonel, je suis déterminé à faire cesser pour toujours la stigmatisation dont ma famille est victime. Hier, c’était ma tante Ekondi, décédée dans les douleurs de l’accouchement et, aussitôt accusée après son enterrement de tourmenter le village. Maintenant, c’est à la mémoire de mon père qu’on s’en prend ! Voici à peine une semaine que nous l’avions, ensemble, conduit à la demeure de son ineffable repos. Or, il a suffi que nous quittions le village pour qu’on s’en prenne à la mémoire d’un homme qui fut de son vivant une légende de l’altruisme. Mon pauvre père est accusé d’être devenu un revenant qui hante le village la nuit, ouvre les portes, sème l’effroi et pourchasse ceux qui osent encore passer par la voie qui conduit au lac A’N’gondo-Tsa’mbé au bord duquel il a été inhumé.

L’adjudant se fit subitement menaçant. Sans hausser le ton, il articula lentement mais, fermement. 

  •  Mon colonel, je suis un soldat, je ne laisserai pas ces gredins souiller la mémoire de mon père. Je dois faire cesser cette cabale par tous les moyens.

Le colonel Sondzon avait raccompagné le jeune sous-officier dans la cour de la caserne non loin de son bureau. Il lui fit part de ses inquiétudes.

  • Dany, je suis encore plus préoccupé que toi par ces histoires de zombies qui empoisonnent les villageois. Tu ne l’imagines peut-être pas, ces odieuses insinuations m’atteindraient de plein fouet si j’y accordais le moindre crédit. La mère de ton père et mon arrière-grand-mère partageaient la même souche utérine. Tu comprends aisément ce que cela signifie. Le mythe du double estomac infligé par le créateur à certaines personnes, l’immortalité dans la tombe qu’offre cette doublure, le retour parmi les vivants aux fins de les terroriser, eh bien, ça ne se transmet que par la voie utérine, de mère en fils, de mère en fille. Tu vois, ce que je veux dire. Je suis concerné à plus d’un titre que toi.

Il éclata d’un rire sonore tout en donnant de petits coups sur l’épaule du sous-officier.

  • Dany ! tu veux aller en guerre contre une calomnie villageoise venue du fond des âges. Autant poursuivre le vent ! Mais, avons-nous d’autre choix ? Derrière un zombie se cache toujours un malfaiteur qui instrumentalise la peur et la crédulité des pauvres gens. Dans notre cas, je te donne carte blanche : il faudra que tu démasques le malfaiteur qui a transformé mon oncle en revenant. Tu passeras par les gendarmes et le procureur, plus expéditifs que les anthropologues, sociologues et autres historiens que tu as déclinés tout à l’heure. Je ne sais pas de quel bois le procureur dira sa messe le jour où dans le box des accusés prendront place ces individus qui manipulent la peur, terrorisent le village et jettent le discrédit sur une famille qui n’a pas encore fini de faire le deuil d’un des siens. Pour réhabiliter la mémoire de mon oncle, ton père, tu devras brandir aux villageois le ou les malfaiteur (s) qui est ou qui sont à l’origine de cette histoire de fantôme. ( A suivre)
Ikkia Ondai Akiera
Jeudi, Février 3, 2022 - 18:21
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