Le président de la République, Félix-Antoine Tshisekedi, a promulgué la loi portant prorogation de l’état de siège pour une durée de quinze jours dans les provinces d’Ituri et du Nord-Kivu. Adoptée à la 38e réunion du Conseil des ministres, l’ordonnance-loi portant prorogation de l’état de siège a été rendue publique le 4 février 2022 à la Radiotélévision nationale congolaise.
La énième prorogation depuis l’instauration de la mesure inédite et exceptionnelle en mai 2021, indique le gouvernement, vise la consolidation des acquis des opérations antérieures et la poursuite des actions d’envergure en vue de mettre fin au terrorisme et restaurer l’autorité de l’Etat dans les provinces d'Ituri et du Nord-Kivu.
En cette période des vacances parlementaires, le Parlement a habilité le gouvernement à légiférer sur l’état de siège. L’insécurité ambiante dans la partie Est de la République démocratique du Congo a donc amené le président Félix- Antoine Tshisekedi à décréter cet état de siège au Nord-Kivu et en Ituri où des groupes armés et surtout le mouvement rebelle musulman ougandais des Forces démocratiques alliés (ADF) -qui fait déjà partie du groupe terroriste Daesh (Etat islamique) depuis 2019- écument. La cruciale problématique de mettre fin à l’insécurité dans l’Est du pays a été une promesse de campagne de Félix Tshisekedi avant son élection à la magistrature suprême en 2018.
C’était le 6 mai 2021 qu’il avait pris cette mesure exceptionnelle, en nommant deux gouverneurs militaires dans les deux provinces, sur la base de l’article 85 de la Constitution. Cette disposition stipule que lorsque « des circonstances graves menacent d’une manière ou d’une autre l’indépendance et l’intégrité du territoire national et qu’elles provoquent l’interruption du fonctionnement des institutions, le président peut le proclamer ». Le chef de l’Etat a donc placé deux gouverneurs militaires, choisis par le gouvernement, qui sont d’anciens rebelles. Il s’agit du général Luboya Nkashama pour le Nord-Kivu, un ancien du groupe Rassemblement congolais pour la démocratie/Goma, et du général Constant Ndima Kongba, pour l’Ituri, ancien du Mouvement de libération du Congo de l’ancien vice-président du pays et actuel allié de Félix Tshisekedi, Jean-Pierre Bemba.
Avis partagés sur le bilan…
Plusieurs mois après, les avis sont partagés sur le bilan de cette mesure visant à rétablir la paix et la sécurité, restaurer l’autorité de l’Etat dans l’Est de la République démocratique du Congo (RDC). Lors de son allocution à la 76e session de l’Assemblée générale des Nations unies, le 21 septembre 2021 à New York, Félix Tshisekedi déclarait : « L’état de siège ne sera levé que quand les circonstances qui l’auront motivé disparaîtront ».
Brossant le bilan de quatre mois de cet état de siège, le chef de l'Etat a laissé entendre que l’administration des deux provinces par les deux officiers militaires a permis la neutralisation de plusieurs centaines de miliciens, la reddition de nombreux éléments des groupes armés, la récupération d’armes et des munitions par les Forces armées de la RDC (FARDC), le démantèlement de plusieurs réseaux de trafics illicites d’armes et munitions, des minerais, et de ravitaillement des groupes armés dans divers produits, la récupération de nombreuses localités dans l’Est du pays jadis sous occupation des rebelles, la libération de nombreux otages autrefois détenus par les groupes armés dont les ADF. Le président de la République a aussi évoqué la réouverture de certains axes routiers importants jadis sous contrôle des forces négatives, la réduction sensible des attaques contre la population civile. Même si, a-t-il toutefois reconnu, les terroristes, sous couvert des ADF et des Forces démocratiques pour la libération du Rwanda (FDLR), opèrent encore dans l’Est du pays.
Le 29 septembre dernier, l’Assemblée nationale a adopté le rapport de sa commission Défense et Sécurité sur l’évaluation de l’état de siège, dont le bilan à mi-parcours a été jugé « mitigé ». « Il ressort de la conclusion que le bilan de trois mois de l'état de siège est pratiquement mitigé, il faut un recadrage sur le terrain en vue d'atteindre un meilleur résultat… Pour les députés nationaux, il faut que l'État congolais s'assume à travers des décisions courageuses en faveur de la population », a fait savoir à la presse le député national Gratien de Saint-Nicolas Iracan, élu de Bunia en Ituri.
Le député a ajouté que parmi les recommandations, la plénière a demandé au gouvernement « de penser déjà à un plan de gestion de sortie de l'état de siège ». Le 1er novembre 2021, les élus du Nord-Kivu et de l’Ituri avaient boycotté la plénière de la chambre basse du Parlement, convoquée pour une onzième prorogation de l’état de siège. Pour eux, le bilan de cette mesure exceptionnelle prise par le président de la République était insatisfaisant sur le terrain. Ces députés nationaux avaient même exigé la démission des deux gouverneurs militaires pour « incapacité à gérer les forces de sécurité mises à leur disposition ».
Le nombre des éléments des groupes armés en baisse
Cependant, le Bureau conjoint des Nations unies aux droits de l’homme (BCNUDH), de son côté, a dans un sens confirmé les propos du président Tshisekedi, en notant des améliorations sur le plan sécuritaire dans les deux provinces en état de siège. « L’état de siège a permis de mettre sur pied un cadre permanent permettant à l’Etat d’agir contre les groupes armés et a favorisé un mouvement de reddition de certains combattants. Il a également permis la sécurisation de certains axes routiers et la libération de certaines localités de la présence des groupes armés », a soutenu Aziz Abdoul Thioye, directeur du BCNUDH lors d’une conférence de presse à Kinshasa.
Mais comme un bémol, il a ajouté : « Les violations et atteintes aux droits de l’homme documentées dans les provinces en état de siège n’ont pas diminué de façon significative et de nombreux défis continuent de se poser en ce qui concerne, notamment, les violations commises par les militaires des FARDC dans le cadre de leurs opérations ». Des sources de la Mission des Nations unies pour la stabilisation au Congo, l’on apprend que le nombre des éléments des groupes armés aurait baissé de plus de 3 000 à 120 dans l’Est.
Et la Société civile dans l’ensemble a mis en exergue une montée sans précédent de massacres des civils en dépit de l’état de siège. En début octobre, l’ONG américaine Human Rights Watch a parlé de plus de 700 civils tués dans les deux provinces depuis la proclamation de l’état de siège. Le Groupe d’étude sur le Congo a rendu publics, le 19 octobre dernier, les résultats d’un sondage sur l’état de siège, en indiquant que « 63 % des Congolais estiment que l’état de siège est une bonne chose, et une majorité des sondés (53%) pense même que cette mesure conduira à l’éradication totale des groupes armés dans l’Est, 47 % des personnes interrogées sont d’avis que l’état de siège a amélioré la situation, 31% la jugent inchangée et 11% estiment que l’état de siège a détérioré la situation ». L’état de siège est une mesure inédite en RDC depuis l’émergence de l’insécurité et de l’instabilité dans l’Est du pays au milieu des années 1990.