Interview. Théodore Nganzi : « La mise en œuvre du droit d’auteur pose problème »

Mardi, Mars 1, 2022 - 17:22

Désuète, la loi congolaise relative au droit d’auteur, vieille de 36 ans, est, aux dires de l’avocat au barreau de Kinshasa/Gombe, « totalement dépassée au regard de l’environnement numérique actuel ». L’ayant passée au crible dans sa thèse sur « Le droit d’auteur à l’épreuve du numérique en droit comparé congolais, camerounais, ivoirien et sénégalais », il évoque ses difficultés et les propositions des pistes de réforme pour sa révision dans cet entretien exclusif avec Le Courrier de Kinshasa.

 

Me Théodore Nganzi (Adiac)

Le Courrier de Kinshasa (L.C.K.) : Pour plusieurs, vous êtes enseignant à l’Institut national des arts (INA) mais ce n’est pas tout. Que devrait-on compléter à votre présentation pour permettre à nos lecteurs de mieux vous connaître ?

Théodore Nganzi (T.N.)  : Mon nom est Théodore Nganzi Ndoni. Avocat au barreau de Kinshasa/Gombe, je suis en même temps enseignant de droit d’auteur à l’INA et docteur en droit. J’ai soutenu ma thèse sur un sujet de droit d’auteur.

L.C.K. : Le droit d’auteur est-il  une matière claire, un sujet bien compris ou demeure-t-il encore flou dans l’univers créatif, artistique de la République démocratique du Congo (RDC) ?

T.N. : Le sujet est clair et connu des artistes. Malheureusement, c’est la mise en œuvre du droit d’auteur qui pose problème pour plusieurs raisons. La première, c’est que la loi sur le droit d’auteur de la RDC est totalement dépassée au regard de l’environnement numérique actuel. La seconde, c’est qu’elle n’est pas très connue des opérateurs culturels mais aussi des juristes, parce que la matière n’est pas enseignée comme cours de droit commun dans les universités. Ce sont là les difficultés majeures.

L.C.K. : Quelles sont les conséquences de cette méconnaissance de la loi sur les artistes  ?

T.N. : Le premier problème est le manque à gagner que subissent les créateurs des œuvres à cause du marché numérique devenu très dynamique. Le téléchargement illégal des œuvres de l’esprit et le partage des fichiers entre internautes entraînent un réel manque à gagner. Les œuvres distribuées sur le marché traditionnel subissent une concurrence déloyale de la part de celles qui circulent dans le réseau numérique immatériel.

L.C.K. : Cet aspect de la question liée au droit d’auteur vous tient à cœur au point d’être l’objet d’étude de votre thèse. Peut-on en connaître les résultats ?

T.N. : Le sujet de ma thèse est intitulé « Le droit d’auteur à l’ère du numérique en droit comparé congolais, camerounais, ivoirien et sénégalais ». Il s’agit d’une étude comparative des quatre lois dans le but de proposer des pistes de réforme pour que la loi de la RDC soit révisée.

L.C.K. : Pourquoi ce choix spécifique de comparer les cas du Cameroun, de la Côte-d’Ivoire et du Sénégal pour votre sujet de thèse et qu’avez-vous voulu ressortir en focalisant votre étude sur ces trois pays  ?Me Théodore Nganzi en pleine défense de sa thèse (DR)

T.N. : La raison du choix des trois pays est simple : ils sont tous trois francophones et sont dans un contexte socio-économique similaire à celui de la RDC. De manière individuelle, ces trois pays ont des lois récentes. Le Cameroun, siège de l’Organisation africaine de la propriété intellectuelle, est présumée avoir beaucoup d’experts en la matière. Aussi, sa loi assez récente date de 2000 et est assez riche. Le Sénégal, dont la sienne est de 2008, a ratifié le traité de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle, de 1996. Et la Côte d’Ivoire possède la loi la plus récente, elle est de 2016. Elle comporte une innovation : elle protège les sites internet comme création de l’esprit. Au regard de la raison sus évoquée, nous avons choisi de comparer les lois des trois pays avec celle de la RDC qui date de 1986. Elle est vieille et n’a pas pris en compte les problèmes du numérique.

L.C.K. : Peut-on savoir ce qu’il en est des pistes de réforme que vous préconisez et qu’elles en seraient les retombées  ?

T.N. : Nous proposons plusieurs pistes de réforme, notamment la révision des droits patrimoniaux reconnus aux créateurs des œuvres d’esprit, l’intégration d’un nouveau droit : « Le droit de mise à disposition des œuvres sur Internet » de sorte que chacun ait la latitude de consulter les œuvres à partir de tout lieu et à tout moment. Il n’est pas encore défini dans notre loi. Nous proposons l’intégration des créations numériques telles que les programmes d’ordinateur, les bases de données et les sites internet comme créations dans la loi ; le renforcement de la lutte contre les atteintes au droit d’auteur. Par exemple, la contrefaçon dans le réseau numérique et les différentes formes de contrefaçon indirecte comme le contournement des mesures techniques qui protègent les œuvres dans les réseaux. Et, nous proposons aussi l’adoption d’une police d’assurance contre tous les dommages pouvant être commis envers les créateurs des œuvres dans les réseaux numériques. Nous suggérons l’existence d’une assurance de responsabilité pour prévenir ces dommages. Et, en fin de compte, la mise en place de nouvelles mesures préventives à l’instar de la suspension de la connexion ou le blocage des sites, ou encore le filtrage des contenus. Ce, pour faire cesser l’acte illicite avec la contrefaçon de la réalisation numérique. Ce sont là les différentes mesures proposées pour renforcer la protection des œuvres dans le réseau numérique car il y a nécessité de reformer la loi dans ce sens-là.

L.C.K. : Qu’est-ce qui pourrait être d’application presque immédiate dans le contexte congolais ?

T.N. : Dans un premier temps, l’adoption d’un code du numérique peut aider. L’actuel ministre de l’Enseignement primaire, professionnel et technique, Tony Mwaba Kazadi, avait déjà une telle proposition. Nous souhaitons qu’il fasse du chemin au Parlement de sorte qu’avec son adoption, nous ayons un début de solution. Mais nous nous battons aussi pour que la loi sur le droit d’auteur soit révisée pour que soient intégrées les différentes réformes susmentionnées. À moyen terme, nous pensons que l’adoption des deux lois au Parlement procurerait un bon niveau de protection et de solutions pour prévenir les atteintes au droit d’auteur dans le réseau numérique.

 

 

Propos recueillis par Nioni Masela
Légendes et crédits photo : 
1- Me Théodore Nganzi / Adiac 2 : Me Théodore Nganzi défendant sa thèse / DR
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