Evocation : le revenant de Ngatali (5)

L’évocation du nom de Mwandza ramena Gwabira sur certans détails de la vie du cadet de son arrière-grand-mère paternelle. Celui-ci était décrit comme un homme violent, bagarreur, dont l’addiction au chanvre indien servait d’explication à ses excès. Il ne croyait pas aux revenants. Un jour, au cours d’une causerie avec ses alter-egos, il avait roué de coups l’un d’eux qui affabulait sur le thème des fantômes associé à sa famille. Il s’était alors écrié :

  • J’ai tabassé Bouya pour donner une leçon à tous les oiseaux de mauvais augure qui colportent des ragots sur ma famille. La rumeur est anodine. Elle naît toujours dans des causeries comme celle-ci, autour d’un feu, autour d’un verre d’alcool. Elle se répand ensuite insidieuse, et donne corps à tous les fantasmes. Méfiez-vous !

Cette scène avait impressionné les habitants de Ngatali et ceux des villages environnants. Doué d’une force prodigieuse, Mwandza menaçait de charcuter quiconque débiterait des insinuations sur sa famille.

Il eut trois décès dans sa branche maternelle durant sa courte vie. Comme par hasard, les buissons ne frémirent jamais de pas de revenants et d’étranges bruits tant qu’il était vivant. L’infâmant stéréotype de revenant attaché à sa famille avait disparu ! Malheureusement, l’étrange anatomie pathologie qu’il pratiqua sur le corps de sa sœur fut fatale à sa vie. Il tomba gravement malade dans la nuit qui suivit l’enterrement. On attribua la cause de cette maladie à ses excès. Pour certains, il avait pris du chanvre indien en quantité excessive avant d’opérer la dépouille de sa sœur. D’autres pointaient du doigt les émanations mortifères sorties du corps éventré. Il agonisa pendant une semaine et mourut le visage serein en dépit d’atroces douleurs.

Ses ennemis n’attendirent pas longtemps pour se venger de lui. Une semaine ne s’était pas écoulée après son décès que le stéréotype de jadis reprenait du terrain, donnait de la voix plus tenace que jamais.

Un matin, Orobert Sika’ngui donna le signal. S’étant levé tard, il se justifia en alléguant qu’il s’était battu toute la nuit avec les fantômes :  de Mwandza mo Loa et sa sœur Tsonnom venus l’ensorceler. Il ajouta :

  • J’ai mordu Mwandza à pleine dent sur le visage si fortement qu’il s’est enfui en abandonnant à ma rage sa sœur Tsonnom Mwa’ndinga.

Il n’en fallait pas plus pour que renaisse le mythe de la maison des revenants qui poursuivait la branche maternelle des deux défunts. Dans le village, par hypocrisie et lâcheté, personne ne voulait se souvenir de la rixe qui avait opposé Sika’ngui à Mwandza au sujet de sa sœur Tsonnom. Obnubilée par le spectre d’un retour des fantômes dans le village, personne n’avait osé faire un parallèle entre la fanfaronnade de Sika’ngui et la rixe passée. Le même Orobert Sika’ngui enfonça le clou de sa vengeance lorsqu’il révéla que les parents décédés du vivant de Mwandza avaient été enterrés le visage tourné vers le fond de la tombe. Par cette astuce, on les avait privés de lumière pour les empêcher de ressusciter dans l’au-delà et de revenir tourmenter le village.

C’est ainsi que le travail de réhabilitation et de justice obtenu moyennant des représailles agitées par Mwandza finit par s’annuler sous l’effet des calomnies lancées par Orobert Sika’ngui.

Dany Gwabira médita longuement des passages de la vie de Mwandza m’o Loa. Il trouva en lui un ascendant digne d’exemple. Dans le cloaque aux hypocrites qu’était le Ngatali d’alors, sa violence, constata-t-il, avait tenu en respect les malveillants, les perfides et tous les oiseaux de mauvais augure. Vaincre la peur et ses préjugés en usant de la violence à l’instar de son aïeul lui paraissait être la seule voie à suivre. Il était en parfait accord avec son père-cadet Alikissi Tchosso lorsque celui-ci promettait d’ouvrir le ventre du premier vilain qui salirait la mémoire de son frère. (A suivre)

 

 

Ikkia Ondai Akiera
Jeudi, Mars 3, 2022 - 18:32
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