Evocation : le revenant de Ngatali (9)

Face à ce troublant faisceau d’indices, des voix exigèrent de mettre fin au suspense et d’enlever le voile. Quelqu’un dans la foule s’écria :

  • Les gendarmes ne nous en voudront pas d’avoir démasqué le mort couché sous nos pieds. Nous ne déplacerons pas le corps, nous le démasquerons pour mettre fin au doute qui nous oppresse. Qu’il soit Tchonguy, Donatien ou n’importe quel autre démon, le suspense a trop duré : découvrons le visage qui se cache sous ce masque !

Un villageois du quartier Bwanga tenant une lampe-tempête ajouta :

  • Tchonguy est mon voisin. Quand j’ai entendu les gens s’interpeller pour venir ici, j’ai couru l’appeler et j’ai constaté qu’il n’était pas chez lui. Je me demande où peut-il se trouver à cette heure tardive.

L’un des époux des femmes violées, catégorique, lui lança à la figure :

  • Ne cherche plus. Levons ce voile. Quel est le visage qui est sous ce masque ? Pour ma part, je suis convaincu que Ja-Pier vient de nous aider en nous débarrassant d’un salaud.

De plus en plus fébrile, la foule approuva le dernier intervenant. Des vociférations s’élevèrent exigeant de mettre fin au suspense. Menés par Atoiny Ngabouya, trois individus se penchèrent sur le cadavre aux fins de lui enlever le voile. A cet instant, le ciel nocturne fut subitement éclairé par un mouvement lumineux de puissantes phares de deux jeeps. On entendit des klaxons.  Jean Pierre et sa délégation étaient de retour flanqués des gendarmes. Ceux-ci, au nombre de cinq, aboyèrent tout de suite des ordres pour contenir la foule. Sous la lumière des phares des deux jeeps, des torches et des lampes-tempête, on les vit s’affairer autour de la dépouille couchée dans l’herbe, ramasser les objets trouvés autour d’elle, tourner autour de la tente de Jean Pierre, examiner son fusil, la position de son tir. Ils terminèrent ce premier contact avec la scène de crime penchés sur le chien et l’ustensile blanc ayant transporté le gigot de viande empoisonné.

Après des relevés divers et variés de la scène de crime, la foule retint son souffle quand les gendarmes invitèrent autour du cadavre de l’inconnu le chef du village, son adjoint et l’acheteur de tabac pour assister au dévoilement du visage du mort.  Deux gendarmes s’attelèrent rapidement à cette tâche. Puis, celui qui les commandait invita le chef du village à décliner l’identité du mort.

Lorsque d’une voix forte le chef du village prononça le prénom et le nom d’Anselme Mbongo alias Tchonguy, il n’eut pas de surprise dans la foule. Ce fut comme si cette révélation n’avait été qu’une formalité. Tous les indices convergeaient vers lui : son passé de crapule, l’apparition d’un violeur masqué après son retour au village, le détail du voile masqué donné par Tsa’mbé et son absence inexplicable au lieu du crime.

C’est alors qu’Atoiny Ngabouya et des membres de sa famille entrèrent en scène. Loquace, Atoiny interpella le chef des agents de l’ordre :

  • Monsieur le gendarme, certes Aselme Mbongo est mort, ma famille ne pourra plus intenter un procès contre lui pour avoir calomnié la mémoire de mon regretté frère Donatien. Toutefois, ses complices sont là, autour de vous dont le chef du village. En effet, une semaine et demi avant le jour du marché du tabac, ce monsieur et ses complices dont le mort que vous venez de démasquer ont harcelé ma famille aux fins de déterrer et brûler les restes mortuaires de mon regretté frère. Nous avons été accusés de sorcellerie et accusé Donatien d’être un revenant qui terrorisait les habitants. Le chef du village avait dit : « Maintenant que ni Tsa’mbé ni le père Bodzoumou n’ont pu domestiquer le fantôme de Donatien, il ne nous reste plus qu’à le déterrer et le brûler. Je n’aimerai pas voir la réputation de mon village ternie par la faute d’un macchabée qui refuse le confort de sa tombe ». J’ai plusieurs fois attiré l’attention des calomniateurs de ma famille. J’ai mieux fait : après la mésaventure de Tsa’mbé et les bruits sur le violeur masqué, j’ai orienté leur attention sur cette crapule de Tchonguy. Dans ma vision, la cause et l’effet étaient intimement liés. Le regretté Donatien n’avait-il pas donné une mémorable correction à Tchonguy après que celui-ci avait violé sa femme ? Le malfaiteur ruminait sa vengeance et la mort de mon cadet lui en a donné l’occasion. Ainsi est née, dans ce village, l’idée du revenant Donatien…

Le gendarme l’interrompit et se mit à le questionner :

  • Monsieur, c’est votre droit de poursuivre devant les juges, qui que ce soit, pour quoi que ce soit. Cependant, dites-moi, y-a-t-il un lien entre la tentative de voler des cartons de sardines de M. Jean Pierre et le fantôme de votre frère Donatien ?

Atoiny Ngabouya répondit :

  • Il n’y a aucun lien parce que le fantôme de mon frère Donatien est une fabrication imposée par le malfaiteur qui gît devant vous. Par contre, si l’acheteur de tabac a soupçonné son assaillant de tentative de vol de cartons des boîtes de sardines, c’est par rationalité, par rapport aux coutumes de son pays. En effet, l’explication est ailleurs. Vous avez trouvé aux côtés du mort des anneaux de colliers, une branche touffue et un gourdin. M. Jean Pierre nous a affirmé qu’après la mort de son chien, l’assaillant avait produit un effroyable bruit par le cliquetis des colliers et la branche touffue. Il voulait l’effrayer, le faire fuir, abandonner l’achat des ballots de tabac et faire retomber tout cela sur le soi-disant revenant Donatien. La démarche de Tchonguy et compagnie auprès de ma famille aurait été justifiée et mon défunt père déterré, brûlé, sa mémoire humiliée. Jean Pierre a fait échouer ce complot sans le savoir.  

Le gendarme se tourna vers le chef du village :

  • Apparemment, vous avez des bandits qui jouent aux revenants dans votre village.

Puis, il prit la foule à témoin et poursuivit :

  • Toute à l’heure, à P. dans mon bureau, en présence du chef du village, M. Jean Pierre, nous a relaté la situation dans laquelle il s’est retrouvé avant d’ouvrir le feu : il apparaît comme le dit M. Ngabouya que l’assaillant tentait de l’effrayer, faisant tinter des colliers et autres bruits insolites…

Atoiny Ngabouya interrompit le gendarme, voulant lui donner une information complémentaire :

  • Ces bruits insolites produits par des inconnus la nuit sont considérés, ici, comme des œuvres du diable. On en tremble. Le lien entre ces bruits et une inhumation récente est vite trouvé. C’est du pain béni pour des bandits comme ce fut le cas de Tchonguy.  (A suivre).
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Ikkya Ondai Akiera
Jeudi, Mars 31, 2022 - 19:34
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