Manche : le retour brutal des traversées met à nu l’impasse migratoire européenne

Mardi, Décembre 16, 2025 - 18:30

Après 28 jours d’accalmie, 737 migrants ont rejoint le Royaume-Uni en une seule journée, révélant les limites sécuritaires, géopolitiques et économiques des politiques de contrôle aux frontières.

Après près d’un mois de répit inédit depuis sept ans, la Manche a de nouveau été le théâtre d’une traversée massive de migrants. Samedi, 737 personnes, réparties sur 11 embarcations de fortune, ont atteint les côtes britanniques, selon le Home Office. Ce chiffre marque une rupture nette après 28 jours sans arrivée, une pause largement attribuée à des conditions météorologiques défavorables. Mais derrière cet épisode se cache une réalité plus structurelle : la pression migratoire vers le Royaume-Uni demeure intacte. Avec ces nouvelles arrivées, 40 029 migrants ont franchi la Manche depuis le début de l’année, dépassant déjà le total de 2024 (36 816), même si le record de 2022 (45 774) n’est pas encore atteint. Ces données traduisent une dynamique persistante, malgré le durcissement des dispositifs de surveillance et les accords bilatéraux.

Une équation sécuritaire et géopolitique non résolue

Pour le gouvernement travailliste de Keir Starmer, l’immigration irrégulière est devenue un enjeu central de souveraineté politique et sécuritaire. Sous la pression électorale croissante du parti d’extrême droite Reform UK, Londres tente de reprendre le contrôle du narratif migratoire. L’accord conclu cet été avec Paris - fondé sur un mécanisme de retour vers la France, compensé par un accueil légal équivalent (« un pour un ») - s’inscrit dans cette logique. Mais sur le terrain, l’efficacité reste limitée. Les réseaux de passeurs, véritables acteurs de l’économie souterraine transnationale, adaptent rapidement leurs stratégies. Chaque fenêtre météorologique devient une opportunité commerciale, révélant les failles d’un dispositif essentiellement défensif.

Le Sud global au cœur des déséquilibres

Derrière les chiffres, se profile une réalité géoéconomique plus large. La majorité des migrants proviennent du Sud global, régions confrontées à la pauvreté structurelle, aux conflits armés, aux chocs climatiques et à la pression démographique. L’Europe, et le Royaume-Uni en particulier, reste perçue comme un pôle de consommation, de sécurité sociale et d’opportunités économiques, malgré un discours politique de plus en plus dissuasif. « Tant que les écarts de développement et d’accès aux ressources persisteront, aucune frontière ne sera totalement étanche », confie un analyste en intelligence stratégique basé à Londres.

Vers un basculement du paradigme migratoire ?

La reprise soudaine des traversées met en évidence les limites d’une approche strictement sécuritaire. Surveillance maritime, coopération policière et accords bilatéraux sont nécessaires, mais insuffisants. Sans investissements massifs dans les pays d’origine - éducation, emploi, sécurité alimentaire, valorisation des ressources naturelles - la pression migratoire restera un phénomène structurel. La Manche n’est plus seulement une frontière physique. Elle est devenue un front géostratégique, où se croisent enjeux de souveraineté, rivalités politiques internes, déséquilibres Nord-Sud et crises de gouvernance mondiale. L’épisode de samedi agit ainsi comme un signal fort : malgré les pauses et les accords, la question migratoire européenne reste loin d’être maîtrisée.

Noël Ndong
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