La tragédie sans fin de la traversée de la Méditerranée frappe aussi les sportifs

Lundi, Novembre 14, 2016 - 17:45

Des milliers d’anonymes gisent par le fond en Mer Méditerranée. Mais parmi ces morts qu’on n’enterrera peut-être pas, il y a aussi des célébrités.

C’est par dizaine que les migrants qui tentent de gagner l’Europe trouvent la mort en Mer Méditerranée. Bateau en avarie, panne sèche de carburant, soif, faim ou froid. La mort continue a des causes multiples mais une cause première : la volonté de gagner à tout prix l’Europe pour échapper à la faim dans son pays d’origine, à la guerre ou à la persécution. Samedi dernier, 1.400 hommes, femmes et enfants de diverses provenances ont été secourus par les garde-côtes italiens au large des côtes siciliennes. Ils avaient embarqué à bord de sept canots pneumatiques, peu adaptés pour une telle traversée par grand froid et pour autant de personnes.

Des rescapées d’une mort certaine, car depuis le début de cette année 4.000 migrants se sont noyés, ou sont morts de soif ou d’inanition en Méditerranée. Des hommes, des femmes et de plus en plus d’enfants « voyageant » sans parents identifiés, des familles de désespérés confiant leurs enfants au sort pour une entreprise qui promet au bout, peut-être, une vie meilleure en Europe. Un nombre aussi effroyable de morts finit presque par habituer à l’idée de la mort, les intrépides n’envisageant une telle issue que pour les autres, les « sans chance ». Des morts anonymes pour la plupart, qui seront ensevelis (quand ils le sont) dans quelque coin de cimetière suivant le lieu où ils sont retrouvés et leur état de décomposition.

Mais la semaine passée a introduit un changement dans ce film de l’horreur. Car un mort a suscité plus que les autres l’émotion. Il s’agit d’Ali Mbengu, alias « Mille francs ». A 22 ans, Ali est un Gambien notoirement connu dans son pays où il était champion de lutte, sport très prisé en Gambie et dans le Sénégal voisin. Son canot a chaviré au large des côtes libyennes, alors qu’il voulait rejoindre un point de débarquement en Italie. Destin tronqué et grande douleur au sein de la communauté gambienne de sport, tout comme parmi ses compatriotes s’apprêtant eux aussi à tenter leur chance à cette loterie impitoyable.

Sa mort est intervenue une semaine après celle d’une autre jeune sportive gambienne, Fatim Jawara. Elle faisait partie de l’équipe nationale féminine gambienne de football : cruel ! Mais le sort de ceux qui échappent à la mort est-il forcément plus enviable ? Sans doute pas. Souvent les migrants sont bloqués en Libye où ils subissent tortures et humiliations, travaillant pour un maigre salaire qui leur sera ravi par quelque passeur dès qu’ils auront repéré le premier bateau en partance « pour là-bas », c’est-à-dire 300 kilomètres plus au nord-ouest par la mer, vers l’Italie et l’Europe.

Une situation qui commence à faire discuter est celle des jeunes femmes nigérianes, de plus en plus nombreuses parmi les migrants. Elles sont parfois volontaires, parfois fermement prises en main par des souteneurs impitoyables. Lorsqu’elles arrivent en Italie ou dans quelqu’autre pays européen, commence pour elles un autre combat, celui de les arracher à la prostitution. Le trafic des jeunes nigérianes a explosé au cours de la dernière décennie, indique l’Organisation internationale pour les migrations : 433 en 2013, 1.454 en 2014, 5.653 en 2015, 7.768 au 30 septembre de cette année !

Les humanitaires se battent pour les sortir de la prostitution, mais il faut bien reconnaître que bon nombre d’entre elles ne se trouvent pas suffisamment de raison de sortir de leur métier. Peur et fatalisme mêlés, certaines estiment que de l’argent facile gagné, même au prix de la honte dans quelque bourg, vaut mieux que retourner au pays sans rien. Alors elles supportent les violences des souteneurs, leurs menaces couplées à des fétiches, les rafles de la police et même la mort. Chaque soir elles sont de plus en nombreuses sur les trottoirs, par temps de froid ou insupportable canicule.

Lucien Mpama
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