Le « boxeur de Mussolini » qui était congolais !

Lundi, Mars 6, 2017 - 16:15

Un film va rendre justice à une figure emblématique du sport et de l’histoire en Italie sous le fascisme : Leone Jacovacci.

La diaspora africaine en Italie attend avec fièvre la sortie, le 21 mars prochain, d’un film singulier : « Le boxeur du Duce » (Il pugile del Duce). Réalisé sous forme de documentaire par Tony Saccucci, le film raconte une histoire incroyable : celle du boxeur Leone Jacovacci, resté paradoxalement dans les mémoires des anciens comme « le boxeur de Benito Mussolini », le grand dictateur fasciste italien dont le goût pour le sport fut un trait de marque imposé à toute une nation et à tous ceux qui adhéraient (ou moins) à sa vision d’un peuple rendu sain de corps et d’esprit par la pratique des exercices physiques. Mais Mussolini n’aimait pas Jacovacci !

Homme de faconde et cavalier amateur, adepte de l’exploit sportif ou viril, réel ou fabriqué pour les besoins de la cause, Mussolini est décrit comme ne dédaignant pas non plus le coup de poing en caserne ou dans la vie devant qui osait lui tenir tête. C’est sous le règne de Benito Amilcare Andrea Mussolini, ses noms complets ((1883-1945), que le sport fut élevé au rang de vertu première et la boxe en marque de noblesse nationale pour gens raffinés. C’est dans ce contexte que la personne de Leone Jacovacci gagna en notoriété auprès des foules qui en firent, ambarrassées, une icône nationale.

Mais, devant « le Duce », il représenta une marque d’infamie irrémédiable, car Leone était noir ! Enfin : métisse. Ce qui ne faisait aucune différence aux yeux du grand leader adepte, comme son allié Adolf Hitler, de la théorie de la supériorité de la race pure, la race aryenne. Et, comme lui qui dut essuyer en 1936 aux Jeux Olympiques de Berlin l’affront d’avoir à assister chez lui, en Allemagne, aux quatre médailles d’or du coureur Noir Américain Jesse Owens (auquel il refusa de serrer la main !), « le Duce » avait en Leone Jacovacci son Owen-maison en Italie.

Le documentaire décrit Leone Jacovacci comme un boxeur « techniquement parfait, agile, intelligent et puissant ». Etait-il fasciste lui-même ? Sans doute un peu comme tous les gens de sa génération de la fin des années 1920, un peu par conviction, beaucoup par « air du temps ». Aux archives des mythiques studios de Cinecittà, près de Rome, le réalisateur Tony Saccucci a mis la main sur des documents exceptionnels qui montrent que Jacovacci parlait couramment quatre langues. Et que sa carrière fut largement entravée par des obstacles artificiels pour lui reconnaître la nationalité italienne qu’il mit quatre longues années à acquérir.

C’est au soir du 24 juin 1928, au Stadio Nazionale di Roma, qu’il imposa la maestria de son art. Devant 40.000 spectateurs, et plusieurs milliers d’autres qui suivaient la rencontre en direct radio, Leone Jacovacci conquit, pour le compte de l’Italie, le titre de champion d’Europe des poids moyens. Ce jour-là, la fierté patriotique éclata dans les cœurs des Italiens, peut-être un peu moins dans celui du « Duce », qui lui préférait de loin le boxeur « vraiment italien » - donc blanc – Carnera !

Mais cette victoire éclatante, lumineuse, ne suivit pas la trajectoire de la vie du champion qui ne parvint pas vraiment à mettre K.O. le racisme et les préjugés. Car Leone Jacovacci était né d’un père italien et d’une mère congolaise. Métisse à une époque où la question des races conduisit aux pires folies avec le nazisme en Allemagne et le fascisme en Italie, ou des lois raciales furent proclamées, la vie de Jacovacci ne fut pas un long fleuve tranquille.

Sa biographie officielle souligne qu’il est né au Congo-Léopoldville (République démocratique du Congo) le 19 avril 1902 d’un père italien, « et d’une mère babuendi ». Puis emmené en Italie très jeune par son papa. C’est en Italie aussi, à Milan, qu’il mourut à 81 ans le 16 novembre 1983. Dans l’anonymat complet ou presque, victime d’une époque et des circonstances mais oublié de tous par paresse intellectuelle ou par souci de tourner une page qui avait ses gloires entachées par l’infamie du fascisme. La sortie du film, le 21 mars, se veut en coïncidence avec la célébration annuelle de la Journée mondiale contre le racisme décrétée par l’ONU.

Lucien Mpama
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