Emma Bonino rêve d’une Italie avec encore plus d’immigrés

Mercredi, Mars 15, 2017 - 15:45

L’ancienne Commissaire européenne veut aller à contre-courant des idées populistes qui gagnent du terrain en Europe.

Ancienne ministre des Affaires étrangères, du commerce ; commissaire européenne émérite, sénatrice, militante multifonctions pour la cause de la femme qui inclut une lutte contre les mutilations génitales, membre du Parti Radical italien : passionaria ! Emma Bonino est à 69 ans, l’une des battantes de la vie politique italienne. Où elle prend la parole, dans n’importe quelle langue occidentale majeure, les interlocuteurs s’arrêtent de rigoler et la suivent avec attention.

Un de ses derniers « faits d’arme », si l’on peut dire, est un cancer dont elle vient de triompher avec l’aide des médecins mais aussi avec une volonté de fer et en renonçant définitivement à la cigarette : pas une femme banale ! La semaine passée, elle était l’invitée de la conférence de Lingoto, à Turin, où se discutait l’avenir du parti de gauche, le Parti démocratique (PD), déchiré depuis le retrait de l’ancien premier ministre Matteo Renzi du secrétariat général (avant de se re-proposer à ce poste).

A Lingoto quand elle est montée sur la tribune, Emma Bonino a été accueillie par une frénésie d’applaudissements saluant surtout sa guérison miraculeuse du cancer. Mais, avec l’autorité dont elle a toujours su faire montre, elle a stoppé tout net vivats et bravos : « si vous voulez m’applaudir, écoutez d’abord ce que j’ai à vous dire et on verra si vous m’applaudirez à la fin » ! Murmure d’incertitude dans la salle.

Alors d’une voix qui claquait comme un fouet, elle a dénoncé ce qui ne va pas aujourd’hui dans la société italienne. Notamment cette grandissante méfiance à l’égard des immigrés dont certains sont établis dans le pays depuis des années, et auxquels « nous n’hésitons pas à confier nos choses les plus chères, nos parents (à aider) comme nos maisons à garder ». Or, a-t-elle poursuivi, « immigration et Europe sont deux thèmes voisins. Une immigration bien utilisée est dans notre intérêt ».

Elle a rappelé que l’immigration établie en Italie aujourd’hui, c’est 6 millions d’euro générés, soit 8% du Pib de la péninsule. Ce sont eux qui supportent les pensions des 640.000 retraités italiens ; eux – leurs enfants – qui constituent les 805.000 étudiants et élèves que compte le pays et sans lesquels 35.000 salles de classe auraient aujourd’hui fermé leurs portes avec des enseignants jetés à la rue, sans travail.

« Nous devons programmer 160.000 nouveaux arrivants immigrés chaque année pendant dix ans pour pouvoir soutenir le rythme des économies des pays européens les plus dynamiques », selon Emma Bonino. Elle s’est dite absolument opposée aux nouvelles lois du gouvernement tendant à resserrer la vis en matière d’immigration. « La multiplication des centres de rétention est un non-sens, parce que nous ne pouvons pas refouler tous les immigrés arrivés sur notre territoire ».

Connue pour être directe dans son propos et ferme dans ses convictions, même au sein de son Parti Radical, Emma Bonino a asséné : « Le délit de clandestinité est une absurdité ». Elle a conclu, citant Nelson Mandela : « s’il y a des moustiques dans une mare d’eau, prendre son fusil pour les chasser ne sert à rien. Il faut assécher l’étang ». Les délégués à la rencontre l’ont applaudie quand-même, même si beaucoup étaient loin de la suivre sur la voie de l’accueil aux immigrés. Ou de comprendre la métaphore de Mandela !

Des clandestins nettoient volontairement des quartiers de Rome

Dans les quartiers romains d’Ostiense, de Pratti et de Parioli (qui est l’équivalent du 16è arrondissement de Paris dans la capitale italienne), un mouvement spontané de migrants africains a surgi. Depuis quelques jours, on voit ces Africains venus du sud du Sahara sceau, pelle ou sécateur à la main remettre de l’ordre dans des quartiers parfois pris pour cibles par des vandales locaux jamais repérés. Des murs couverts de graffitis commencent à retrouver leur beauté ancienne, les immigrés polissant, grattant et repassant un coup de pinceau pour faire disparaître les talents discutables de quelque pseudo-peintre d’une nuit.

Les riverains sont absolument conquis. Ils sont d’ailleurs nombreux à les avoir appelés, et à avoir fourni les instruments de travail à ces travailleurs particuliers. Et encore plus nombreux à leur glisser quelques billets en remerciement. Mais la chose est pourtant bien structurée. Elle est née d’un agent de tourisme, Matteo Pennacchi, qui a longtemps travaillé en Afrique. « Ces jeunes sont organisés de manière ‘fluide’, sans le soutien de quelque société que ce soit, ni d’associations de paroisse », explique-t-il.

« C’est le citoyen lui-même qui décide de résoudre un problème dans le quartier et qui y met ce qu’il veut : argent ou outil ; aide ponctuelle ou rien ! ». Mais ça marche. Car dans une société où les immigrés sont présentés comme des “parasites” venus voler le travail des locaux, ils sont ici à un endroit où ils ne prennent le poste de personne tout en résolvant un problème social réel. Alors, les nombreux et fastidieux chewing-gums qui collent aux semelles sur les trottoirs de Rome ont sans doute trouvé leurs gais éliminateurs !

Lucien Mpama
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