La mort, un business

Mardi, Juin 13, 2017 - 17:30

Les démarcheurs de deuil sont très actifs autour des veillées funèbres et s’offrent pour tout. Sauf pour la compassion au moment de la facture.

Une publicité des pompes funèbres américaines annonçait : « mourez, nous ferons le reste ». Dans notre culture, une telle proclamation relèverait du cynisme le plus abject. La mort – le mort – se respecte. Et d’ailleurs, à l’annonce d’un décès en famille le code tacite veut que le (la) disparu(e) ne soit plus évoqué (e) qu’en positif. Ses qualités sont louées voire exagérées, sa vie magnifiée. Cela s’appellerait hypocrisie pure et simple s’il n’y avait précisément ce code tacite du respect à tout crin. Le code se respecte plus ou moins dans les familles où il n’est pas rare pourtant de voir les héritages donner lieu à de vraies bagarres.

Mais cela n’est rien à côté de l’affairisme qui s’est développé autour des deuils de quartier. Ce sont de véritables escouades de rabatteurs qui entrent en action dès qu’une palme, le signe annonciateur d’un deuil chez nous, est plantée à l’angle d’une rue. Où il y a du deuil, il y a des sous à se faire ! De bons moments en prévision, ne serait-ce que pour venir prendre gratuitement son café, boire une bière de circonstance avec air compassé de feint partage du deuil. Voire prendre le repas de fin de deuil en se servant de larges portions qu’on ramènera chez soi. De la solidarité en se gavant.

Mais ce sont surtout les équipes des « hommes d’affaires du deuil », de véritables baratineurs qui donnent à penser. « Vous avez perdu un être cher ? Comme c’est triste. Ne vous laissez pas abattre, nous sommes là pour penser à tout. Nous vous apportons des chaises pour ceux qui viennent à la veillée ; nous installons la chapelle ardente, le chapiteau. Nous nous rendons à la morgue pour le toilettage du mort (de la morte). Nous fournissons absolument tout : des gants blancs à l’habit et jusqu’au caveau et à la pierre tombale. Nous faisons absolument tout, ne soyez pas tristes ! ».

Déjà un discours aussi faussement onctueux a de quoi agresser les nerfs du plus pacifique des moines. Mais avec la raison, on finit par se dire qu’après tout, ces choses-là aussi ont besoin qu’on s’en occupe, et que la profonde détresse dans laquelle on est plongé ne doit pas empêcher les rites de se poursuivre. Et tant qu’à faire il vaut mieux des gens « serviables » pour s’en occuper. Alors on cède : on dit oui aux chaises (même quand on en a assez), au groupe de chants voire de danses traditionnelles, au caveau et à la pierre tombale, au groupe électrogène d’appoint… On vous livre tout sous la forme d’un prix-paquet qui englobe l’essentiel ; de fleur de plastique au cierge ou à la sono.

C’est lorsqu’arrive la facture que l’on se rend compte que les sourires faussement compatissants cachaient véritablement des dents de requins menaçants, exigeant de se faire payer avant les rites des funérailles. « Car, après, les familles sont trop dans l’émotion pour qu’on puisse leur demander la moindre piécette », explique l’un. « Et puis, renchérit un autre, beaucoup de funérailles se terminent par de gigantesques querelles de famille entre les accusateurs et les accusés de sorcellerie : présenter une facture à ce moment-là, c’est risquer de prendre un coup et de ne plus savoir à qui s’adresser! ».

C’est ainsi qu’on se rend compte que les compatissants d’hier n’étaient que des harceleurs sans respect pour les méditations douloureuses, ni pour les recueillements. « Payez d’abord, vous pleurerez après », semble devenir leur slogan. Ils vous le font comprendre sans la manière. Car il n’est pas rare qu’ils en arrivent  aux menaces. C’est à ce moment qu’on découvre que les chaises qu’on vous proposait presque gratuitement hier étaient en fait assujetties à une clause peu altruiste : à toute chaise cassée, disparue ou éraflée, il faut payer jusqu’à 10.000 FCFA cet objet traditionnellement une pacotille de plastique.

Lucien Mpama
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