L’équipe d’experts mise en place en juillet 2017 pour un mandat d’une année a publié son rapport le 26 juin. Les forces de sécurité congolaises, les miliciens Kamuina Nsapu et Bana Mura sont accusés, dans ce document, d’avoir délibérément tué de nombreux civils (femmes et enfants) lors des violences survenues dans la région, en août 2016.
Le dossier kasaïen, avec le chapelet de violences engendré par le phénomène Kamuina Nsapu ayant laissé tristesse et désolation, vient d’être exhumé à la faveur du rapport d’enquête des experts des Nations unies, publié le 26 juin. Un document accablant qui décrit, dans les détails, le niveau de violences perpétrées par les forces de défense et de sécurité, la milice Kamuina Nsapu et les milices Bana Mura en état de belligérance dans la région depuis 2016. Pour les experts onusiens mandatés par le Haut Commissaire aux droits de l’homme, les abus commis par ces trois composantes armées au Kasaï peuvent être qualifiés à juste titre de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité, conformément au statut de Rome et des conventions de Genève. Telle est la conclusion à laquelle sont parvenus Bacre Ndiaye (Sénégal), Luc Côté (Canada) et Fatimata M’Baye (Mauritanie) au terme de leurs investigations.
Dans ces affrontements non conventionnels où tous les excès étaient permis, les civils ont été les principales victimes. Ils ont subi, sans défense, les offensives menées contre eux « avec un caractère généralisé ou systématique », ont noté les auteurs du rapport. Meurtre, mutilation, viol ou toute autre forme de violence sexuelle, pillage, destruction de villages, etc, étaient devenus le lot quotidien d’une population kasaienne livrée à la merci de ces hors-la-loi au cynisme abject.
Des pans entiers de ce texte sont consacrés à la narration des crimes commis tant par les Forces armées de la République démocratique du Congo (Fardc) que par les miliciens de Kamuina Nsapu et de Bana Mura. Tout en faisant savoir que des milliers des personnes innocentes - sans donner un quelconque chiffre - ont perdu la vie au cours de ces affrontements, les enquêteurs de l’ONU ont indiqué que leur rapport ne reflétait qu’une petite partie des actes et crimes commis. Bacre Waly Ndiaye et ses collègues ont dénoncé l’usage excessif de la force par les Fardc dans leur croisade guerrière contre les miliciens de Kamuina Nsapu traqués dans tout le Kasaï.
Déboire des femmes et des enfants
Quant à la milice Kamuina Nsapu, elle est accusée d’avoir enrôlé de force des enfants, filles et garçons, qui auront été à la fois les principales victimes et acteurs de cette tragédie. Leur nombre dépasserait le seuil fixé par l’Unicef qui avait dénombré, au 30 août 2017, près de mille deux cent vingt garçons et six cent cinquante-huit filles recrutés et incorporés dans cette milice. « Beaucoup d’enfants ont été enlevés, blessés, mutilés, détenus ou exécutés. Certains ont vu leurs parents battus, décapités ou leur mère violée. Plusieurs ont été forcés à combattre, placés en première ligne sans armes ou avec des armes factices ou traditionnelles, alors que d’autres ont été forcés à tuer et décapiter », révèle le rapport. D’où les traumatismes physiques et psychologiques décelés dans le chef de ces pauvres enfants, par ailleurs, stigmatisés dans leur environnement immédiat. Dans le lot, il faudrait y ajouter aussi le viol à grande échelle de femmes, parfois par de multiples assaillants simultanément ou de manière répétée, devant leur mari, leurs enfants ou d’autres membres de leur famille.
Les enfants enrôlés et les femmes violées ont tous souffert de la stigmatisation, de l’ostracisme et enduré les effets psychologiques pervers d’une telle réalité. Aujourd’hui, la prise en charge de ces victimes devrait s’étaler dans la durée afin de leur ôter les séquelles de cet épisode macabre de leur vie.
Tout en reconnaissant une baisse sensible des violences qui avaient pris un caractère ethnique dans le Kasaï, les experts onusiens ont néanmoins constaté la persistance de quelques poches de résistance. « Des personnes suspectées sans fondement d’appartenir à la milice continuent d’être détenues, battues ou tuées », précisent-ils, ne s’expliquant pas le silence de la communauté internationale. « Nous sommes choqués par la situation désastreuse qui a coûté la vie à plusieurs milliers de personnes et qui perdure dans la région, sans attirer l’attention ni au plan national ni international », s’est indigné à ce sujet Bacre Waly Ndiaye.
Le rapport est, en outre, assorti de quelques recommandations dont la principale demeure l’exhortation faite à la justice pour mettre fin à l’impunité de ces crimes, « si l’on ne veut pas que la dimension ethnique de ce conflit ne s’aggrave encore ». Aux autorités congolaises, il leur est demandé de renforcer les capacités des organes d’enquête militaire pour qu’ils puissent poursuivre et juger les auteurs - y compris les plus hauts responsables - des crimes internationaux commis au Kasaï depuis 2016. Les enquêteurs onusiens sollicitent aussi que des soins adaptés soient donnés aux survivants et survivantes des viols et de violences sexuelles. Ils plaident, par ailleurs, pour la mise en place d’une politique de désarmement des milices ainsi que d’un processus de réconciliation afin d’éviter une nouvelle vague de violences et de permettre le retour des déplacés et réfugiés.