Littérature : les romans africains de la rentrée littéraire 2018

Vendredi, Septembre 21, 2018 - 12:15

Cette semaine, les deux ouvrages qui ont retenu notre attention nous emmènent à la découverte de deux auteurs qui ont choisi de peindre les portraits de deux personnages hauts en couleur et qui nous plongent dans les méandres de sociétés où tout n’est pas toujours rose.

" La Concordance des temps" de Mamadou Mahmoud N’Dongo

Mamadou Mahmoud N’Dongo est un écrivain et dramaturge Franco-Sénégalais qui publie en ce mois de septembre un nouveau roman intitulé "La concordance des temps", au Serpent à plumes. Dans ce roman, il est question d’Isaac, la cinquantaine révolue et qui se refuse de vieillir. Le souvenir de ses anciennes amours, l’illusion des nouvelles à venir l’entretiennent dans l’illusion d’une éternelle jeunesse.
Grâce à son ex-femme, il a une place dans un comité de lecture et s’occupe de quelques auteurs, dont Anouch, 27 ans, brillante dramaturge. Anouch écrit sur l’engagement des jeunes dans le djihad. Anouch est dans le débat contemporain. Isaac parle de Brecht. Ensemble ils se retrouvent sur le mouvement de la Fraction Armée Rouge, comment se créèrent les FAR, ce qu’ils devinrent.

La beauté d’Anouch est dévastatrice et la discussion entre les deux est séduction, pour lui, persuasion pour elle. Pas sûr, donc, qu’ils parlent réellement de la même chose.

Avec "La concordance des temps", Mamadou Mahmoud NDongo réalise un brillant roman dialogué qui dépeint le portrait d’un homme qui fut un maître et dont le temps use peu à peu le statut.
Mamadou Mahmoud N’Dongo est notamment l’auteur de cinq précédents romans, deux parus au Serpent à plumes, "Bridge Road" (2006) et "El Hadj" (2008) et trois chez Gallimard, "La géométrie des variables" (2010), "Remington" (2012) et "Les corps intermédiaires" (2014).

Avec son nouveau roman, il confirme si cela était nécessaire, qu’il est un écrivain avec lequel il faut compter. Sachant surprendre par des textes incisifs qui, bien qu’inscrits dans le corpus parfois quelque peu abusif des « littératures africaines », questionnent avec subtilité une modernité à la fois très parisienne et très mondialisée.

Meryem Alaoui publie "La vérité sort de la bouche du cheval" chez Gallimard

Meryem Alaoui, jeune marocaine exilée à New York ayant grandi à Casablanca, publie un premier roman "La vérité sort de la bouche du cheval"  dont on parle déjà beaucoup lors de cette rentrée. Dans ce roman, l’auteure nous offre une peinture haute en couleur de la vie quotidienne dans un Maroc populaire où chacun fait face aux difficultés à force de vitalité et de débrouillardise. 

Le roman se déroule dans les années 2010. Et c’est Jmiaa, jeune prostituée expérimentée avide de feuilletons télévisés mexicains qui y tient la parole, elle ne la lâchera pas. Prostituée de Casablanca parmi d’autres, à l’esprit vif et tenace. Autour d’elle gravite un petit monde pittoresque. Un univers de débrouille, de brutalité et de magouille, plus rarement de sentiments. La vie est vacharde par ici, on s’en sort comme on peut.

Le destin de Jmiaa prendra un autre tour avec l’arrivée d’une Marocaine émigrée aux Pays-Bas ; Chadlia, dite «Bouche de cheval», qui veut réaliser son premier film sur la vie de ce quartier de Casa et cherche une actrice.

Ce qui frappe dans ce roman, c’est la multitude des personnages, ça grouille de vie. Le panel y est varié, même si beaucoup végètent dans un milieu pour le moins défavorisé. Flics pourris et petits mecs brutaux, garagiste débraillé ou folle de quartier, prostituées. Les parcours de certaines d’entre elles sont saisissants. On ne naît pas prostituée. Jmiaa l’est devenue contrainte et forcée par une main masculine. Hamila l’est devenue contrainte et forcée surtout par elle-même, pour expier une faute impardonnable à ses yeux.

A la suite de ce personnage haut en couleurs, l’on découvre Casablanca, la société marocaine, le sort des femmes soumises à la volonté des hommes. Jmiaa est une de ces femmes qui n’a pas eu de chance mais qui prend les choses comme elles viennent, avec pragmatisme, philosophie, fatalisme. Narratrice sans concessions de sa propre vie, Jmiaa n’épargne rien ni personne, les hommes, les collègues, les « barbus », les fonctionnaires corrompus, les flics, les bien-pensants et les hypocrites. Si le sort ne lui a pas toujours été favorable, elle saura aussi saisir les opportunités qui s’offrent à elle et changer le cours de son destin.
Un récit plein de couleurs, de chaleur, de piment, de la misère, de la violence mais aussi de la solidarité, de la débrouillardise et un happy end un peu facile mais qu’on ne peut qu’approuver tant on s’est attaché à Jmiaa au point de lui souhaiter le meilleur. Une lecture pétillante qui donne la pêche.

Boris Kharl Ebaka
Légendes et crédits photo : 
Illustration
Notification: 
Non