RDC : irrégularités dans la campagne électorale et compromission du scrutin du 23 décembre

Jeudi, Décembre 20, 2018 - 14:30

Se fondant sur des observations de terrain, les chercheurs de l’Institut de recherche en droits humains (IRDH) ont estimé qu’il y a lieu de croire à l’existence d’une volonté délibérée, dans le chef de certaines autorités établies, de pousser le pays dans la violence.

 

Pour l’IRDH, d’une part, ces dites autorités viseraient la jeunesse et, de l’autre, elles chercheraient à irriter des leaders de l’opposition, en entravant leurs campagnes électorales. « La violence pourrait avoir comme conséquence l’interruption du processus électoral », a prévenu cette ONG de défense des droits de l’homme établie à Lubumbashi, dans le Grand Katanga.

Dans son bulletin électronique du 20 décembre, l’IRDH note, effet, que dans leur monitoring, les chercheurs de son Projet d’application des droits civils et politiques (PAD-CIPO) ont relevé de graves irrégularités dans la campagne électorale susceptibles de constituer la fraude électorale, au détriment de l’expression du choix des citoyens congolais. « L’opinion publique sait que la fraude électorale peut avoir lieu, soit durant la campagne électorale, soit durant les opérations électorales elles-mêmes », a prévenu cette ASBL, qui attire l’attention de la Céni sur le fait que lesdites irrégularités restées impunies compromettent le scrutin du 23 décembre 2018.

Une fin agitée de la campagne électorale

L’IRDH relève que la campagne électorale qui arrive à son terme régulier a été caractérisée par des pratiques illégales dont l’entrave à la campagne électorale des candidats de l’opposition par des autorités établies; l’usage abusif des moyens, des médias publics et du personnel de l’Etat, aux fins de campagne ; la pratique de la violence et l’incitation à la violence contre des adversaires politiques et l’acquisition des cartes ou photocopies des cartes d’électeurs par extorsion, corruption et ruse. Pour l’IRDH, ces pratiques dénoncées sont ici classées par ordre de gravité et de leur ampleur.

S’agissant de l’entrave à la campagne électorale des candidats de l’opposition, l’ASBL note que des rassemblements de campagne électorale, organisés par l’opposition, ont été dispersés par des éléments de la police qui, faisant usage disproportionné de la force, ont causé de graves atteintes au droit à la vie et à l’intégrité physique des manifestants pacifiques. L’Association relève dans cette rubrique notamment que le 19 décembre 2018, le gouverneur de la ville de Kinshasa, André Kimbuta Yango, a interrompu arbitrairement la campagne électorale dans la Ville de Kinshasa. Il a instruit, souligne-t-elle, la Police nationale congolaise (PNC) d’escorter par force à sa résidence le candidat à la présidentielle, Martin Fayulu Madidi, qui allait haranguer ses partisans à la place Sainte-Thérèse à Kinshasa. De la même façon, poursuit l’IRDH, qu’en date du 11 décembre, le gouverneur de la province du Haut-Katanga, Célestin Pande Kapopo, avait empêché le même candidat Fayulu de battre campagne à Lubumbashi.

Pour l’IRDH, ces ingérences politiques sont contraires à l’article 211 de la Constitution de la République qui charge la Céni de la mission exclusive d’organiser tout le processus électoral et toutes les opérations de vote. Et elles violent l’article 29 de la loi électorale du 10 mars 2006, telle que modifiée à ce jour, qui garantit la libre organisation des rassemblements électoraux sur l’ensemble du territoire national. Par ailleurs, l’article 81 de la même loi sanctionne quiconque entrave ou tente d’interdire ou de faire cesser toute manifestation, rassemblement ou expression d’opinions pendant la campagne électorale.

Cette ASBL fait, par ailleurs, observer qu’en ce qui concerne la sécurité, en période électorale, seul le président de la Centrale électorale peut requérir « les forces de l’ordre », le cas échéant, par un écrit suffisamment motivé, conformément à l’article 25, alinéa 8 de la « Loi organique n° 13/012 du 19 avril 2013 modifiant et complétant la loi organique n° 10/013 du 08 juillet 2010 portant organisation et fonctionnement de la Commission électorale nationale indépendante ».

Dénonçant l’usage abusif des moyens et personnel de l’Etat aux fins de campagne électorale, l’IRDH rappelle qu’il est de notoriété publique que des membres du gouvernement national et des gouvernements provinciaux ont abusé des médias publics, des bâtiments, des véhicules, du personnel et des finances de l’Etat, aux fins de mener la campagne tant pour eux-mêmes que pour le candidat du Front commun pour le Congo (FCC). Même la première dame, Olive Lemba Kabila, souligne cette association, a utilisé des véhicules et des militaires de la Garde républicaine afin de battre campagne pour le même candidat.

Aussi l’IRDH a-t-il mentionné que la Radiotélévision nationale congolaise (RTNC) est exclusivement orientée vers la campagne électorale du candidat du FCC. « Cette pratique constitue une violation flagrante de l’article 36 de la loi électorale sus évoquée qui dispose que l’utilisation des biens, des finances et du personnel public visé ci-dessus est punie de radiation de la candidature ou d’annulation de la liste du parti politique, du regroupement politique ou des indépendants qui s’en rendent coupables ou dont le candidat s’en rend coupable », a rappelé cette ASBL.

Des violences commanditées et autorisées

Parlant de la pratique de la violence et l’incitation à la violence, l’IRDH a regretté que la violence, restée impunie pendant la période électorale, ait été encouragée par des autorités en fonction. L’exemple des plus flagrants qui mécontente toute conscience humaine, note-t-il, est venu du gouverneur de la province du Haut-Katanga, Monsieur Kapopo, qui incitait des jeunes du FCC à Lubumbashi à la violence, au cours d’une réunion.

Pour l’association, après cette incitation à la violence, il a été observé, notamment, des atteintes à la vie des citoyens par balles réelles, l’incendie des véhicules sur la place publique, la destruction des affiches des candidats tant de l’opposition que du FCC. « Cette pratique est contraire à l’article 34 de la loi électorale qui stipule qu’aucun individu, parti politique ou regroupement politique ne peut inciter quiconque à commettre un acte de nature à entraîner des violences, des menaces ou à priver d’autres personnes de l’exercice de leurs droits ou libertés constitutionnellement garantis », précise l’IRDH.

Alors que sur les allégations de l’acquisition des cartes d’électeurs par extorsion, corruption ou ruse, l’IRDH note qu’il revenait que des parents sous tutelle des policiers, militaires et agents de renseignements ont subi une extorsion systématique de leurs cartes d’électeurs. De même, poursuit l’ASBL, qu’il s’était observé trois phénomènes : des bureaux de campagne des candidats, de tout bord, se livraient à photocopier des quantités des cartes d’électeurs, sous prétexte d’accréditer leur propriétaire comme observateur ; des entreprises commerciales et minières se chargeaient aussi de photocopier des cartes d’électeur, contre remise des « dons » ; et des candidats ou cadres de leurs partis politiques distribuaient publiquement de l’argent aux électeurs. « Ces pratiques viseraient de tricher, en se fondant sur le dernier alinéa de l’article 59 de la loi électorale de 2011 qui permet d’être admis à la catégorie de votants par dérogation, les électeurs identifiés par la Céni, au moins quinze jours avant le début du scrutin », rappelle l’IRDH.

Mettant à nu ces faits, les chercheurs de l’IRDH attendent des citoyens de dénoncer toute pratique illégale ou tentative de fraude d’où qu’elles viennent. Que cela vienne des policiers, militaires, agents ou fonctionnaires aux ordres illégaux d’un candidat ou d’un groupe politique et de documenter et dénoncer toute violence et incitation à la violence, en filmant la scène et enregistrant des paroles, actes ou écrits. Ceci pourra servir de base, a expliqué cette ASBL, aux enquêtes et poursuites devant la justice nationale ou la Cour pénale internationale (CPI).

L’ONG exhorte la centrale électorale, à condamner et déférer aux parquets l’usage abusif des fonctions, personnel et moyens de l’Etat, par des politiciens en compétition électorale ; à ne pas autoriser au tiers, pour quel que motif qui soit avancé, d’utiliser la carte ou photocopie de la carte d’électeur qui ne lui appartienne pas. Car il y a des raisons de croire à une acquisition par ruse, extorsion ou corruption, et à prendre toutes les dispositions nécessaires tendant à décourager tout acte de nature à occasionner la fraude. Cela dans le but de mettre tous les candidats en confiance et permettre aux citoyens d’accepter sans contestation les résultats.

Lucien Dianzenza
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Photo; le logo de l'IRDH.
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