Coutume : La dot, un frein ou une motivation pour le mariage ?

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Vendredi, Juin 5, 2015 - 12:30

C'est en 1984, après mûres réflexions, que les juristes congolais ont codifié le mariage coutumier sur la base des valeurs traditionnnelles du pays. Près de trente années après, le Code de la famille est tombé en désuétude avec des dispositions qui ne sont plus respectées par les familles. Nombreux sont des candidats au mariage coutumier obligés parfois de se ruiner pour régulariser leur union alors que certains préfèrenent s'éterniser dans une union libre malgré le nombre des années passées en couple et les enfants à leur actif. Quelle est l'opinion des Congolais sur la dot ? Enquête.

« Cinq foulards à tête, cinq pagnes wax hollandais, cinq sandales pour dames, un costume, une chemise, une cravate  et  une paire de chaussures assorties avec …», lit distinctement  Jérôme, 45 ans, sur une feuille qu’il tient dans sa main. Après une courte pause, il enchaîne « huit machettes,  huit houes, des lampes tempêtes…La liste est longue » explique-t-il en rangeant délicatement la liste des éléments constituant la dot qu’il a reçue tout dernièrement de ses beaux-parents. Mireille, sa conjointe depuis déjà onze ans reconnaît malgré elle : « C’est une honte, je ne suis pas un article à vendre. J’en ai parlé à mon père, il ne veut rien entendre ».

 « Fer à repasser, machettes, scies, lampes tempêtes, et puis quoi encore. Un tracteur peut être ! », s’insurge Roland, 37 ans, qui a reçu depuis plus d’une année sa liste pour la dot. «  Je suis commerçant, je me débrouille comme je peux et les parents de ma femme ne tiennent pas compte de mon revenu mensuel. Ils veulent s’enrichir sur mon dos, et en plus de cela,  ils se proclament chrétiens », a avoué Roland qui tient à épouser sa femme avant d'aller à la mairie l'étape ultime.

Fixé en fonction des familles, ce procédé décourage de plus en plus de candidats désireux de se marier puisque le mariage coutumier, au vu des dépenses qu’il occasionne, freine l’élan de certains hommes à vouloir honorer leurs conjointes. Une enquête réalisée à Brazzaville pendant l’année académique 2011-2012 par des universitaires auprès d’un échantillon de 622 couples dont l’âge varie entre 19 et 78 ans pour les femmes et 21 et 81 ans pour les hommes avait révélé que le montant de la dot défini par le code de la famille n’est plus respecté par les familles. «La dot varie selon le niveau d’étude de la fille, le statut social de son mari. En fait, plus la belle famille est riche, plus on monte les enchères alors qu’en 1984, lorsqu’on l’avait fixée à 50000 FCfa, c’était, entre autres, pour éviter que la dot ne constitue un obstacle pour les couples désireux de s’unir » explique avec Maniogui Séraphin Nzonzi.

 «  Le plus injuste est que, tant que vous n’avez pas encore fait la dot, vous ne pouvez pas passer devant monsieur le maire, moins encore devant le pasteur. À moins de vous entendre avec les beaux-parents. Mais ce n’est pas très évident car les familles sont devenues tellement voraces qu’elles mentent même devant le maire et déclarent hypocritement avoir reçu 50000 FCfa imposés par le code, lors de la célébration du mariage officiel. Or, ils reçoivent des montants estimés entre 500.000 et 800.000 Francs FCfa en plus des cadeaux en nature qui accompagnent la cérémonie du mariage traditionnel », a noté Francis, 35 ans, qui n’a  pas pu obtenir cet arrangement de ses beaux-parents et à  été obligé de faire sa dot. «  Je suis sorti de là, asphyxié et criblé de dettes », a reconnu ce dernier.

« Les parents oublient souvent qu’il y a l’après dot, et c’est là que les vrais problèmes commencent, on ne vit pas seulement d’amour et d’eau fraîche » a fait savoir Albert 46 ans, chauffeur de taxi. « Ma chance est que Sylvie, ma femme, a tenu tête à ses parents. Quand nous avons vu la liste de la dot, cela nous a refroidis, et c’est elle qui a décidé de tout abandonner. Et d’un commun accord nous avons décidé de vivre en union libre, l’essentiel est que nous soyons heureux et que nos enfants soient en bonne santé », a témoigné Albert qui ne désespère pas.

Les statistiques témoignent

Actuellement 55,65% des couples vivent en union libre, font un mariage coutumier en attendant de passer devant le maire et 15,48% ont opté pour le mariage coutumier partiel (la dot est versée en deux, voire trois temps à cause des difficultés financières ). «  J’ai pris un crédit pour faire face aux dépenses de ma dot. Je voulais honorer ma femme car cela fait dix ans qu’on est ensemble. Ce que les parents ignorent, c'est qu’une fois dans le ménage, le mari ne cesse de le rappeler à sa femme qu’il l’a acquise à prix d’or. Et je pense que cela rabaisse l’estime en vers la femme », a confié Joseph, 41 ans et fonctionnaire, qui rembourse encore son crédit.

Par ailleurs, même si le pasteur Germain Ibouanga de l’assemblée Baptiste évangélique missionnaire du Congo encourage les jeunes à se marier,  il précise néanmoins que « La dot est un symbole, une façon d’officialiser une union, c'est le signe qu’une femme quitte publiquement ses parents pour aller vivre chez son mari. Mais ce ne devrait en aucun cas être une cérémonie d’exhibition des biens de la belle famille », a-t-il déclaré d’un ton solennel lors d’une cérémonie de bénédiction nuptiale.

Comme dit l’adage : « quand on aime on est capable de toutes les folies ». Un  dicton que rejette pourtant Paulin, la trentaine, qui a décidé de faire marche en arrière tant que ses beaux parents ne revoient pas à la baisse la liste qu'ils lui ont soumise. « Arrêtons de vendre nos sœurs ! », lance-t-il.

 

 

Berna Marty
Légendes et crédits photo : 
Une des raisons qui poussent beaucoup d’hommes et de femmes à vivre en union libre aujourd’hui
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