Malgré les dispositions prises par les politiques, les associations, institutions en lutte contre les violences faites aux femmes (Azur Développement, OCDH, femmes juristes), le viol domestique et plus particulièrement sur les mineurs persiste. Dans les services psychiatriques de Makélékélé et de Talangai, les psychologues sont submergés et la liste des patients s’accroît. Des voix s’élèvent, du fait que cette pratique continue à prendre de l’ampleur dans la mesure où les présumés coupables ne sont pas condamnés, faute de sessions criminelles. Rencontre avec des femmes exceptionnelles qui par leurs initiatives se battent bec et ongles pour endiguer ce phénomène.
Monica Ngamba, assistante juridique à l’Observatoire congolais des droits de l’Homme (OCDH), nous parle des missions de cette institution et de ses fonctions qui sont entre autres la promotion des droits humains.
Les Dépêches de Brazzaville (LDB) : Dans quel domaine intervenez-vous ?
Monica Ngamba (MN) : Au niveau de l’OCDH nous avons deux programmes phares. Il y a le programme juridique et judiciaire des personnes vulnérables et genre, et le second concerne les ressources naturelles. En ce qui me concerne, je m’occupe personnellement des cas de violences faites à la femme, tout ce qui est aspect judicaire des personnes qui sont victimes de violations des droits humains et je fais enfin l’accompagnement devant les juridictions.
LDB : Pouvez-vous nous dire quels sont les viols les plus récurrents ?
MN : Nous recevons plusieurs cas de violences et de viol à l’égard de la femme et de plus en plus de viols sur les mineurs. Présentement nous accompagnons plusieurs victimes. Et la plupart des affaires où l’OCDH s’est constituée comme partie civile sont encore en attente au niveau des juridictions. En 2012, nous avons eu une récurrence de cas de viol sur mineur (une vingtaine) et c’est alors que nous nous sommes interrogés sur les raisons de cette brusque recrudescence de violence tout en sachant que ces viols étaient commis au sein des ménages, ou par le voisinage. Et le plus abominable et inconcevable dans ces affaires est que l’âge des enfants sur qui étaient commis ces violences variait entre 4 et 17 ans. C’est vrai que nous recevons aussi des viols sur des majeurs, mais ce n’est pas aussi alarmant quand il s’agit d’un enfant qui commence à peine de s’exprimer. Mais rien ne justifie un viol qu’il soit perpétré sur une mineure ou sur une majeure.
LDB : Suite aux plaintes des parents, quelle a été la démarche de l’OCDH?
MN : En matière de justice, on ne peut pas porter plainte sans document, il faut un dossier qui atteste que la victime a été bien violentée. Mais il y a des femmes qui viennent ici sans le certificat médical, sans l’avis du psychologue et dans ce genre de cas on est obligé de reprendre tout le processus à zéro et cela prend du temps. Parfois ce sont des viols qui ont été perpétrés depuis longtemps, et les témoignages des victimes seuls, ne suffisent pas pour attester que la victime a bien été violée. C’est enfin pour ces raisons que certaines procédures n’aboutissent toujours pas. Et quand on se retrouve dans ce genre de cas, nous faisons la sensibilisation auprès des personnes concernées.
LDB : Est-ce que les victimes;, notamment les mineurs arrivent à témoigner ou parler facilement ?
MN : Certains oui, d’autres non. Cela dépend du cas. Un exemple, celui de deux petites filles âgées de 4 et 6 six ans qui ont été violées par le propriétaire de la parcelle (un sexagénaire) où elles vivaient. Et le plus cruel, est que ce dernier le pratiquait de façon fréquente. Et pourquoi le silence des enfants, me diriez- vous ? C'est parce que le présumé auteur effrayait les enfants et jouait avec leur naïveté en leur offrant des sucettes. Informés, les parents ont aussitôt saisi le commissariat au niveau de leur quartier dont je tais le nom exprès. Mis en détention puis libéré quelques temps après. Sa libération a suscité la colère et la frustration des parents au point où ces derniers ont été obligés de déménager dans un nouveau quartier pour éviter de traumatiser les enfants. Offensée et humiliée, la famille a décidé de saisir la société civile, où elle rencontre Azur Développement qui les oriente ensuite vers nous. Nous avons refait de nouvelles investigations, établi un certificat médical, et avons formulé une plainte que nous avons déposée au tribunal de grande instance. Le présumé coupable a été arrêté, puis placé à la Maison d’arrêt. Après six mois de prison, il a été relâché et cela a affecté de nouveau les parents parce que dans cette affaire, il ne s’agit pas seulement de viol car à la suite de ce crime l’une des filles a été contaminée du VIH/Sida. À cette étape nous sommes quelque peu limités et notre seul recours aujourd’hui est l’espoir que ces parents pourront un jour voir le coupable payer son crime. Ce qui fait que nous ne sommes pas pour autant restés les bras croisés, nous avons saisi l’inspection général des affaires judicaires au niveau du ministère de la Justice qui, à ce jour, se charge de ce dossier ; au moins nous avons la chance de suivre pas à pas ce dossier et nous espérons que cela aboutira.
LDB : Pourquoi ces présumés coupables sont-ils relâchés?
MN : Parce que les sessions criminelles ne se tiennent pas régulièrement et le viol c’est un crime, et en matière de crime, il y a un délai. Ce qui explique qu’on ne peut garder impunément une personne plus de dix ans s’il n’y a pas de session. Dans la logique, il devait avoir tous les trois mois des sessions criminelles mais elles ne se font pas.
LDB : Quelles sont les solutions ou démarches que vous envisagez pour mettre fin à cette impunité ?
MN : Notre mission est d’encourager les autorités judicaires à appliquer la loi car la loi existe, vieillissante certes mais elle est là. Si on dit que la session criminelle se tient tous les trois mois, il faut que les autorités judicaires tiennent compte de cela.
LDB : A quoi est due la récurrence de ces viols et comment endiguer ce phénomène ?
MN : Pour endiguer ce phénomène il faut des sensibilisations et des formations. Notez que la majorité des victimes de cas de viol que nous recevons, sont ceux commis par des personnes responsables dans la société. On déplore beaucoup le manque de formation et d’information. Certaines personnes défient même l’assemblée en sachant déjà leur peine. Six mois d’emprisonnement puis relâchés parfois même avant la date prévue. Bref en matière de droit il faut de la patience et d’interminables sensibilisations à l’endroit des responsables de l’application de la loi. Nous cherchons des solutions car nous avons reçu des victimes qui ont été frustrées une fois qu’elles ont vu de nouveau leur agresseur dehors alors que celui-ci n’a pas subi sa peine. Et le plaignant se dit que la justice ne fait pas son travail ; et certains disent même que la justice est corrompue… Par ailleurs il faut noter que notre loi est caduque, et ne s’adapte plus avec la réalité actuelle. Et les questions de violences sont vastes. C’est pour cette raison qu’en 2015, l’OCDH a travaillé avec le Fnuap où nous avons tenté d’identifier les différentes formes de violences et avons élaboré un draft concernant ce phénomène. D’ici peu nous le présenterons et nous espérons que le gouvernement nous soutiendra. Mais pour le moment nous continuons le plaidoyer afin que la loi soit revue.
LDB : Vos engagements pour cette année?
MN : Nous avons prévu beaucoup de formations à l’endroit des responsables de l’application des lois, surtout dans les commissariats où les agents sont souvent en contact permanent avec la population. Ces formations ne se feront pas seulement à Brazzaville mais dans l’ensemble du territoire si cela est possible car lorsque nous avons fait notre bilan de l’année 2015, nous avons remarqué qu’il n’y avait que des viols, mais aussi des cas de tortures. Enfin, notre désir le plus ardent est de voir la loi s’appliquer car nul est au dessus de la loi et nous sommes tous égaux devant la loi et c’est cela même le principe de la déclaration des droits humains.