Docteur Carmen Matoko: « C’est possible de refaire sa vie après un viol…»

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Vendredi, Avril 22, 2016 - 12:15

Le docteur Carmen Matoko, psychologue à l’unité de prise en charge des femmes et filles victimes de violence à l’hôpital de Talangai, nous fait part de son expérience  en la matière. Elle dénonce en outre la montée du viol domestique à l’égard des mineurs.

Les Dépêches de Brazzaville( LDB) : De quelle manière se fait la prise en charge des femmes victimes de violence dans le cadre de vos fonctions?

Docteur Carmen Matoko (Dr CM) : La première chose que nous faisons lorsque nous recevons les victimes c’est la prise en charge. Elle débute par l’écoute et ensuite à la prise en charge psychologique et physique de la victime. Et à ce niveau nous prescrivons des médicaments, (introns)  qui servent à la fois à la prévention d’une éventuelle grossesse, d’une infection au VIH, ou d’une infection sexuellement transmissible. Quand nous finissons la prise en charge, nous conseillons à la victime de poursuivre le processus en portant plainte. Malheureusement, beaucoup de victimes s’arrêtent en cours de route, par manque de moyens financiers requis pour obtenir le certificat médical, pièce capitale pour porter plainte.  

LDB : A quoi sert le certificat médical ?

Dr CM : Le certificat médical est un document médico-légal qui dépend de la personne qui le signe. Il permet à la victime de débuter le processus juridique en allant porter plainte. Prenant un cas pratique, nous  avons reçu une petite fille de treize ans qui a été victime d’un viol au mois de mars dernier et on a découvert qu’elle était enceinte en mai. Sachant qu’on ne peut pas interrompre cette grossesse parce que l’avortement est une infraction au Congo, nous avons laissé évoluer cette grossesse. J’ai personnellement suivi cette adolescente avec un psychologue des Fonds des Nations unies pour la population dans la mesure où cet enfant avait des instincts suicidaires une fois que son père les a mises, elle (alors enceinte de cinq mois) et sa mère hors du foyer... Et quand nous avons reçu cette femme, avec sa fille (qui a accouché il y a quelques jours), il n’était pas question de lui faire payer le moindre petit sou.

LDB : Un travail difficile et parfois poignant surtout quand on se sent impuissant face à certains cas, mais qu’est-ce qui vous pousse à ne pas baisser les mains?

Dr CM : Le sourire de la jeune fille, une fois que celle-ci manifeste l’envie de se battre, de reprendre  goût à la vie. Oui rien ne vaut un sourire, ça n’a pas de prix, même celui  d’un certificat médical. Ce ressenti est comme un stimulant  pour moi  et cela me  donne envie de me battre pour ces enfants.  Pour moi voir cette fille de treize ans qui avait des envies de suicides, cette mère totalement tourmentée reprendre de nouveau goût à la vie sont des indices encourageantes. Hier nous l’avons rendu visite et je peux vous assurer que j’étais béate devant l’évolution de la jeune fille, elle retrouve peu à peu la joie de vivre et a repris le chemin de l’école.  Bien qu’elle ait un bébé, c’est possible de refaire sa vie après un viol  mais ça nécessite des moyens. Par ailleurs, même si moi  médecin  je décide de donner des certificats médicaux gratuits, mais je suis désolée pour les cas des tribunaux, des écoles où, il y a des frais à payer pour réinsérer ces enfants. C’est un cas parmi 1000. En rappel, nous avons recensé 1381 mineures victimes de viol dans les hôpitaux dans six départements du Congo lors d’une étude financée  par l’UNEFPIE. Vous voyez qu’avec nos petits moyens et même si nous faisons des exonérations ça ne marchera jamais. C’est pour cela que nous interpellons les autorités publiques, les partenaires à venir soutenir notre action en apportant soit des kits médicaux ou des médicaments...

LDB : En quoi consiste votre travail ?

Dr CM : Mon travail consiste à prendre en charge des femmes et surtout des enfants victimes des violences sexuelles. On a l’impression que cela ne se passe que chez les autres et dans les contextes de guerre. Erreur, cela se passe ici au Congo et sous nos toits dans le silence et dans la paix. Et les auteurs et les agresseurs sont la plupart du temps des parents  proches.

LDB : Comment est née l’unité de prise en charge des femmes et filles victimes de violence à l’hôpital de Talangai

Dr CM : Les unités de prise en charge de Makélékélé et de Talangai sont des descendants si je puis dire de Médecins sans frontières France (MSF) et fonctionnent avec ce model. Elles ont vu le jour depuis la fin des  évènements  socio politiques que le Congo a connus, au cours desquels plusieurs femmes et filles ont été violées. Si le viol comme arme de guerre a pris fin, il se présente sous une nouvelle forme. Le viol au sein des ménages, existe bel et bien, ce ne sont pas des histoires mais des faits, qui dérangent la tranquillité des  familles. Comment pouvez-vous imaginer  qu’un homme de vingt ans qui a toute sa tête viole une petite fille de deux ans. De tels cas sont bien réels et le pire est que nous sommes en période de paix. Et pour vous témoigner l’ampleur de ce phénomène, les victimes que nous recevons sont à 80 %  des adolescentes  et sont rejetés par leurs proches.

 

 

Propos recueillis par Berna Marty
Légendes et crédits photo : 
Docteur Carmen Matoko
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