Dossier/ Sammuel Nkouka, gestionnaire de la Maison des seniors: « Quand on vieillit, on est automatiquement taxé de sorcier »

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Vendredi, Novembre 3, 2017 - 12:00

Que l’on soit à Paul-Kamba, à la Petite sœur des pauvres, et à la Maison des seniors, les causes d’admission des pensionnaires dans les hospices sont presque toutes identiques comme l’a témoigné Samuel Nkouka,  gestionnaire à la Maison des seniors de Mfilou dont la mission est de redonner le sourire et l’espoir à ses pensionnaires qui ont été traumatisés  au sein de leur famille biologique.  

Les Dépêches de Brazzaville: Quelles sont les raisons récurrentes qui font que les personnes du troisième âge viennent  vers vous?

Sammuel Nkouka: La première raison est que ces personnes deviennent des charges pour les parents, surtout quand celles-ci sont malades et invalides. Mais il y a aussi un fait récurrent au sein de notre société ces dernières années. Au Congo, une fois que tu as des cheveux blancs, tu es  automatiquement catalogué comme étant un sorcier. Ce qui fait qu’il y a ce rejet de la part de la famille pour ces personnes et fait marquant, les femmes sont les plus concernées. En effet, quand le mari décède, la femme devient une charge pour les enfants et la famille, et tout le monde cherche à se débarrasser d’elle en la taxant de tout et surtout de sorcellerie. C’est pour cette raison que quand ils ont appris l’ouverture de cette maison, nombreux sont venus nous solliciter. Et à ce jour, ils sont au nombre de trente.

L.D.B.: Séparés de leur cellule familiale, comment se passe leur réinsertion au sein de votre institution ?

S.N. : En fait, avant qu’ils rejoignent l’hospice, une enquête est préalablement établie par l’assistance sociale. Quand une famille nous contacte, notre assistante se déporte dans cette famille pour réaliser une enquête car l’un des critères fondamental, c’est le consentement du pensionnaire. Donc en amont, il y a ce consentement du pensionnaire avant qu’il intègre la maison des seniors. C’est aussi une manière de couper avec sa famille  pour qu’il ne se sente pas isolé en arrivant chez nous.  Mais j’avoue que c’est difficile, certains prennent plus de temps que d’autres pour s’accoutumer (ce n’est pas évident pour une personne de cet âge de se retrouver du jour au lendemain avec des inconnus) mais ils y parviennent avec l’aide des anciens pensionnaires et  du personnel. Une fois qu’ils se sentent aimés et acceptés, ils s’adaptent et retrouvent petit à petit le sourire.

L.D.B.: Il y a un magnifique jardin, des espaces verts mais en dehors de cela, qu’offre la maison des seniors pour distraire ces pensionnaires ?

S.N. : A cet âge, les journées sont généralement longues. Ils ont des jeux de société, (ludo, "ngola").  C’est vrai que c’est un peu limité et nous réfléchissons à comment faire pour les distraire. On a une bibliothèque mais on s’est vite rendu compte que beaucoup sont des illettrés, certains ne voient plus bien. En Europe, on leur propose des sorties, des visites des sites touristiques, des ateliers… Ici, c’est un peu plus compliqué. Mais on y réfléchit.

L.D.B.: Depuis combien de temps la maison a-t-elle ouvert ses portes?

S.N.: Le démarrage administratif a commencé exactement le 4 janvier 2016. Nos premiers pensionnaires sont arrivés en février de la même année. Le nombre du personnel à ce jour est à 40 dont un médecin coordonnateur, une infirmière, une kinésithérapeute, une assistance sociale, une diététicienne….

L.D.B.: Quelles difficultés rencontrez-vous ?

S.N.: Je pense que là où il y a des hommes, les problèmes ne manquent pas, l'essentiel est de savoir faire des compromis pour la bonne marche du travail. Mais je parlerai plutôt des problèmes récurrents que nous rencontrons, par exemple les absences, les retards et petites disputes  du personnel ...

L.D.B.: Chez les pensionnaires, avez-vous eu des cas  où ceux-ci ont piqué des crises d’isolement ou de spleen ?

S.N.: Oui, on en a eu trois qui sont partis… Une a carrément avoué qu’elle était venue par erreur et elle est repartie au bout d’une semaine.  Elle avait un mal être et a avoué que ses petits-enfants lui manquaient. Elle se mettait à pleurer sans raison et son fils est revenu la reprendre. La deuxième est repartie pour Nkayi, parce qu’elle se sentait comme dans une prison.

L.D.B.: Combien de pensionnaires ce centre peut-il recevoir et quelle est leur durée ici ?

S.N.: Dans ce site on peut recevoir 60 pensionnaires et la durée du pensionnaire dans nos locaux est à vie, sauf quand celui-ci veut repartir dans sa cellule familiale. En fait, ce lieu est désormais leur domicile, ils sont ici jusqu’à leur dernier souffle. Notre devoir est de les protéger et de les aimer tant qu’ils sont sous notre toit. Notre objectif, dans les années à venir, est aussi de veiller sur leurs biens car taxés de sorciers pour certains, ou n’ayant plus la capacité de prendre des décisions sur leurs biens, ces derniers se retrouvent sans le sou et cela  au profit de quelques parents malintentionnés. C’est vrai qu’ici, nous les nourrissons, logeons, soignons, mais cela ne donne pas aux parents le droit de spolier nos pensionnaires de leurs biens ou de leur pension. Il y a, par exemple, une pensionnaire qui a des locataires mais qui ne reçoit aucun franc de la part de sa famille. Il  y a aussi un autre qui a une pension de retraite en France, mais les enfants la perçoivent et refusent de la lui envoyer. On espère vraiment que cela va aboutir afin que ces derniers bénéficient du fruit de leur labeur.

 

 

Berna Marty
Légendes et crédits photo : 
Samuel Nkouka, gestionnaire à la maison des seniors de Mfilou
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