Roman :"Lady boomerang" de Marie-Léontine Tsibinda

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Vendredi, Novembre 24, 2017 - 13:00

Écrivaine congolaise résidant actuellement à Gatineau, au Canada, Marie-Léontine Tsibinda a publié au premier trimestre de cette année 2017 son premier roman écrit dans une langue française souvent imagée et au titre singulier de Lady boomerang. Marie-Léontine Tsibinda est bien connue comme auteure de poésie, de pièces de théâtre et de nouvelles. Elle marque l’actualité littéraire avec un récit tragique mais au dénouement heureux où le personnage Santou Mango-Mango, fille de Ntinu Luaka, la mère et de Nitou, le père.

Lady boomerang est un roman dense de 310 pages. C’est le récit d’une tragédie qui touche un père, une mère et leur fille (Ntinu Luaka et Santou Mango-Mango). Survivante des épreuves diverses, Santou est une jeune fille dont la beauté réveille la concupiscence masculine et particulièrement celle du commerçant maléfique Nzenza. C’est pour parvenir à ses fins que ce dernier fait disparaître, par une noyade mystique, la mère Ntinu Luaka (chapitre 3), une femme belle qui vivait dans l’harmonie absolue avec son mari Nitou. Marqué par la mort de sa femme, Nitou bascule dans le désespoir, il devient inconsolable et survit à peine grâce à sa fille Santou.

Bien que hanté par le souvenir des moments vécus avec sa femme, Nitou entre au service de Nzenza qui apparaît comme un acteur curieusement prospère au regard de la crise économique qui mine la société. Nitou est un chauffeur aux qualités exceptionnelles et bien apprécié des agents à qui il livre les marchandises du commerçant. En voulant reprendre le goût de la vie, il se laisse séduire par la serveuse Dalila, laquelle éprouvait depuis fort longtemps un vif sentiment amoureux pour Nitou. Entre-temps la fille Santou Mango-Mango avait ouvert une boutique bien achalandée.

Sous l’effet de l’alcool, Nitou finit par répondre aux avances de Dalila et, assez rapidement, les deux vivent sous le même toît. Mais ce nouveau départ est arrêté par la mort accidentelle de Nitou. Pour Santou, au drame de la mort du père, il faut ajouter l’incendie de sa boutique (chapitre 12). Et pendant son deuil, elle découvre que sa belle-mère entretient une relation intime avec Nzenza, reçu même dans le lit conjugal. Ce dernier lui fait en plus une cour assidue. Par une sorte de maléfice, Santou tombe enceinte de Nzenza et son petit ami, Dina, s’éloigne d’elle.

Le dévoilement de la vraie nature de Nzenza apparaît et à partir de ce moment, le roman prend un tournant singulier et fantastique. Santou se retrouve dans le monde souterrain de Nzenza qui y trône en roi avec une reine menaçante et violente. Très malade, Santou se bat contre les malaises de la grossesse et les attaques de la reine mère qui cherche à lui faire manger une nourriture qui l’empêcherait définitivement de remonter sur la terre des humains. Santou accouche d’un enfant esprit souterrain et aidée par une autre prisonnière, Reine Avelela, elle livre une bataille ultime et parvient à se libérer de l’emprise du monde mystique. Revenue au monde des humains, Santou Mango Mango a une santé précaire et réussit à s’en sortir grâce au service d’un homme de Dieu, un pasteur. Pendant ce temps, Nzenza est en conflit avec sa reine mère. Quand il parvient à récupérer la clé qui emprisonne son côté humain, il remonte à la surface de la terre mais se retrouve en homme-poisson dans une rivière avec une double nature, sa mutation est devenue incomplète. Par le buste, on reconnaît Nzenza mais sa queue de poisson l’empêche de sortir de l’eau. Le récit se poursuit par la reconquête tout aussi fantastique de l’amour de Dina ; ce qu’elle parvient à faire après moult péripéties.

Deux autres histoires secondaires nourrissent ce récit avec des femmes qui, loin d’être des saintes comme Santou, luttent pour gagner la vie et l’amour de leur vie et des hommes dont le passé ne milite pas en leur faveur mais qui renoncent au mal. Ainsi, la relation entre Mountou et Reine Avelela. Dalila, qui a mené une vie dévergondée, se réconcilie avec sa famille… La narration se construit entre ressemblances, déviances et conversions des différents personnages. Les attitudes, les états d’âme, leur vision du monde… se trouvent présentés et revisités comme si, par cette technique de reprise, le texte assumait mieux sa nature boomerang.

Le roman Lady boomerang dessine un parcours initiatique. L’une des spécificités de ce texte, c’est la non-observation d’un principe de la fiction littéraire : la vraisemblance. Le défaut d’observation de la vraisemblance nous situe de façon systématique au cœur du récit fantastique. Tzvetan Todorov (1970 : 29) note, en effet, que « dans un monde qui est bien le nôtre, celui que nous connaissons, sans diables, sylphides, ni vampires, se produit un événement qui ne peut s’expliquer par les lois de ce même monde familier. Celui qui perçoit l’événement doit opter pour l’une des deux solutions possibles : ou bien il s’agit d’une illusion des sens, d’un produit de l’imagination et les lois du monde restent alors ce qu’elles sont ; ou bien l’événement a véritablement eu lieu, il est partie intégrante de la réalité, mais alors cette réalité est régie par des lois inconnues de nous ». Dans Lady boomerang, plusieurs évènements échappent aux lois de notre monde et à ce titre nous notons une place non négligeable du fantastique.

Un autre aspect de ce roman est celui qu’on peut lire à travers les marques anthropologiques exprimant une innovation. Si la figure de la femme pose une certaine parentalité, elle semble ne pas obéir aux lieux communs des sociétés traditionnelles africaines desquelles découle ce récit. Dans la société de roman que donne à lire Marie-Léontine Tsibinda, la femme joue le premier rôle : Santou Mango Mango est la femme qui revient, qui lutte et qui triomphe.

Toutefois, dans la construction de la trame narrative, il se trouve que les récits secondaires semblent peu intégrés dans la trame principale et le lecteur attentif observe que le récit rebondit maladroitement au moment où tout semble annoncer le tableau final. Lady boomerang, c’est la femme qui lutte, qui entreprend et qui ne s’en va pas définitivement. Une telle posture reste digne d’intérêt dans un contexte sociologique où l’échec de l’homme semble ne trouver aucune solution. C’est un roman que j’invite à lire en appréciant singulièrement les répétitions narratives et en questionnant la part de vraisemblance qu’il exprime.

Omer Massoumou
Légendes et crédits photo : 
Lady boomerang de Marie-Léontine Tsibinda chez L'interligne
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